"Les quatre cavaliers de l'Apocalypse" Albrecht DÜRER |
Nombreux
sont ceux qui déplorent une certaine déshérence de la Brega ces
derniers temps.
J'en
suis, sinon désolé, sinon confus, du moins affligé -à tous les
sens du terme- passant par une phase difficile qui me rend tout
écrit, extrêmement ardu et coûteux.
Pour
autant, cela ne m'empêche ni d'espérer, ni d'entreprendre, ni de
persister à porter un regard que j'essaie toujours de contraindre à
la liberté du choix et des analyses.
Je
constate en outre que certaines convictions taurines, qu'avec bien
d'autres je me suis attaché à défendre, ont pris force de réalité
et ne sont plus aussi contestées, du moins en France.
Évidemment,
comme à l'accoutumée dans notre beau pays, les résistants de la
dernière heure ou les «collabos»
de la première ont su s'adapter -à regret certes- à la nouvelle
donne, avec la souplesse et l'habileté contorsionniste des petites
gens et des suiveurs de tous poils et de tous temps. «Ils»
l'avaient toujours dit, même et surtout s'«ils» ne l'avaient
jamais fait.
Au
final, partant de la vérité éternelle que nul ne saurait être
prophète en son pays et que les Cassandre doivent toujours être
sacrifiées, Klein est et restera un emmerdeur pour ne pas dire un
«casse-couilles» (ce qu'il assume), même et surtout s'il avait
raison.
Par
contre, les caciques de l'ancien régime et les pontifes de
la foi périmée continuent à jouir sans critiques et sans regrets
d'une honorabilité inversement proportionnelle à leur absence de
clairvoyance, de scrupules et de convictions. Sans parler des
exécuteurs des hautes oeuvres devenus panégyristes de leurs
victimes collatérales par Terres Taurines interposées.
La
revendication d'un «toro-centre», intègre et encasté se traduit
cette temporada par des évolutions, voire des révolutions dans les
cartels gaulois (plus timidement dans la péninsule). Mais n'est-il pas
trop tard?
90%
du cheptel actuel de braves est désormais domecquisé
et a été modelé selon les exigences du «toro
moderne». Certains des
encastes
différents parmi les plus emblématiques (Miura, Victorino) ont si
vigoureusement sacrifié leur caste vibrante et leur sauvagerie
originale aux mirages de la «toréabilité» qu'il paraît
impossible qu'ils reviennent à leurs grands fondamentaux. Comme les
vandales catholiques qui ont saccagé le coeur de la Mosquée de
Cordoue, au nom de la prétendue «modernité», on a détruit ce
que l'on ne voyait nulle part pour édifier ce que l'on voit partout.
Ces
dernières années, Miura ou Victorino constituaient dans les grandes
ferias le pitoyable et trompeur alibi torista qui dupait les
«spectateurs» quand il faisait hausser les épaules des connaisseurs. Le torisme authentique, il fallait le chercher -pour les
élevages très renommés- chez Cuadri, Aguirre ou Escolar Gil.
Ce
n'est que depuis l'an dernier, et plus systématiquement cette année,
que la demande pour ces ganaderias s'est généralisée. Mais
n'oublions jamais que c'est ce «conservatoire de la caste» que
constitue Céret qui a d'une certaine manière «fait» Escolar ou du
moins lui a permis d'exprimer ses hautes vertus.
On
voit également ce qu'il est advenu d'autres élevages encastés dont
les vertus originelles ont périclité au fur et à mesure que leur
côte montait, que leurs lots se multipliaient et surtout qu'ils
étaient consentis par les figurasses
(les Baltasar Iban, les Fuente Ymbro et consorts).
Très
mauvais signe lorsqu'un Talavante, un Juli ou un Pereira commence à
s'intéresser à une ganaderia!
La
situation me paraît grave parce qu'elle a -me semble t-il- atteint
un degré d'irréversibilité par destruction de la caste et de ses niches écologiques par épuisement de la diversité. Quand je
parle de caste, j'entends cet instinct guerrier irréductible et
sauvage et non cette propension à une agressivité domestiquée,
suave et civilisée qui «permet» au torero de tout s'autoriser et
de tout réussir.
Il
ne demeure dorénavant qu'une poignée d'éleveurs romantiques et souvent
découragés par des années de désaveu, voire d'opprobre.
Suffiront-ils à régénérer la camada, à constituer les germes
actifs d'un renouveau? Rien n'est moins assuré!
Le
deuxième motif d'inquiétude réside dans les motivations profondes
de cette évolution. Il me semble que les notabilités taurines aux
affaires s'accommodent du changement par raison plus que par adhésion
profonde.
C'est à reculons, voire à contre-coeur qu'ils se
sont résolus à changer leur fusil d'épaule, notamment pour des motifs
économiques. Ils s'adaptent pragmatiquement à de nouvelles
configurations plus qu'ils ne les désirent réellement. Et c'est du
bout des lèvres, quasiment avec un dégoût hautain, qu'ils
obtempèrent aux requêtes de l'«aficion indignée». Il faut les
avoir entendu parler avec mépris de la plèbe taurine rebelle et
criarde, qui ose gueuler, pour prendre la mesure du phénomène.
Toute
une génération conditionnée à la fréquentation passionnée
d'Enrique ou de Julian, au champagne, aux petits fours tapassisés ne
voit guère revenir avec enthousiasme le chorizo campero et le pinard rustique de la casa.
L'humilité, la modestie et l'ascétisme d'un Fernando ROBLEÑO n'ont
que peu à voir avec les extravagances des divas et sont infiniment moins
«chébrans», affriolants et médiaique. Imagine t-on certains jeunes cadres tauromachiques
dynamiques landais s'embourbasser les Westons dans la glèbe
populassière des placitas, des ganaderias de deuxième zone ou dans
la fréquentation des toreros-prolétaires?
Car
le fond du problème est avant tout affaire de gros sous, de pèze,
d'oseille, de fric, de fraîche, d'artiche, quand ces beaux messieurs
ont -enfin- compris qu'on gagnait plus à organiser une corrida
torista à demie-entrée (coût du plateau toros-toreros 100.000 à
120.000 euros) qu'un lleno de corrida de luxe qui coûterait, au
minimum quatre fois plus cher. Ils le comprennent d'autant mieux que
les arènes se vident, crise oblige...
Alors que depuis 5 ans je ressasse dans le désert, que la problématique des grandes arènes
s'articule autour de la dépense alors que celle des petites est celle de la recette,
on ne sarcasme
plus désormais . Mais la comprenette a été difficilette!
Le
troisième motif de préoccupation tient à la césure grandissante (et largement entretenue par les susdits caciques) entre
aficionados et spectateurs et à une mutation porteuse de quiproquos
et d'une incompréhension structurelle.
Les
corridas dites «toristas» (ou du moins plus … «complexes»)
exigent du public une culture taurine approfondie et une intelligence du
toreo qui ne peuvent s'acquérir qu'avec l'expérience, la finesse et
la connaissance approfondie des règles de la lidia.
La frontière
entre le «bon toro» et le «mauvais toro» (pour moi, le mauvais
toro n'existe pas vraiment, chaque toro ayant sa lidia adaptée ou
non) procède de la compréhension et du savoir-faire du torero dont
l'incurie, malheureusement commune, trompe le plus souvent son monde. A défaut de le comprendre, on prend le risque de prendre des vessies pour des lanternes.
Un santacoloma
de bonne race exige une lidia appropriée, le plus souvent
incompatible avec les canons du «torero moderne». Les distances, le
sitio, le rythme, la sortie des suertes, sont quasiment
inconciliables avec le toreo vertical, l'enchainement des passes, le
«toreo de bras», le recul, etc.
Malheureusement,
même nombre d'aficionados «toristas» n'intègrent pas cette contrainte
et attendent des matadors qu'ils toréassent avec des toros
«complexes» selon les mêmes exigences et canons qu'avec des
Garces-si-grandes ou des Victorianos del Arroyo, ce qui par définition procède de l'absurde si l'on
considère qu'une lidia bien menée doit s'adapter aux
caractéristiques du toro.
Lorsqu'à
l'automne on voit «Jesus Christ» Tomás
exercer son ministère, il n'est nul besoin de culture taurine. Les
extases programmées sont accessibles à tous et dirais-je,
évidentes. Il n'en va nullement de même pour apprécier à sa juste
valeur l'empoignade sauvage de Fernando Robleño avec
son second toro de Cebada Gago à Vic-Fezensac, le dimanche 12 mai: ici, point
d'arguties esthétisantes. ça
passe ou ça casse et la moindre erreur technique ou de vigilance se
paie au prix fort. Il faut donc être en capacité de percevoir la
richesse technique et la taille des cojones mobilisées par le
maestro pour dominer le bestiau. Combien en sont capables, non par
essence, mais par l'effet d'années de déculturation taurine?
Pour
résumer, des toros différents ne peuvent être combattus avec les
critères des «toros modernes» et le public contemporain n'y est
nullement préparé. Y compris par la majorité des «reseñeros»
qui, soit par ignorance, soit par désintérêt, soit par goût
personnel, soit parce qu'ils «émargent à la propina» se
voient dans l'incapacité effective et quasiment structurelle de remplir leur rôle
d'éducation, d'explication et de décryptage.
Enfin,
le dernier motif de préoccupation tient à ce que je qualifierais de
«déception prévisible». Les «aficionados de verdad», qu'ils
soient «toristas»
ou «toreristas» -selon la terminologie courante qui me déplait- partagent la caractéristique commune d'intégrer la
déception ou la frustration comme condition sine qua non de
l'ascension possible au 7ème ciel des toros. Ils savent et ils veulent que
leur désir soit entretenu par l'inconstance et l'imperfection consubstantielles à une célébration qui échappe à la normalisation et à
la culture actuelle du résultat.
Les diverses variables du succès
sont tellement aléatoires pour aboutir à l'alchimie secrète entre
les désirs du public, du toro, du torero, du palco, de la
météo, des chevaux -que sais-je encore- que cette conjonction
mystérieuse s'avère de fait miraculeuse. Il faut un fatalisme
méditerranéen, une croyance inébranlable dans le fatum, une
propension à l'attente qui conditionne les hautes voluptés, une foi
dans l'anarchie et l'imperfection créatrices qui ne correspondent en
rien à l'esprit de notre temps.
La corrida restera toujours d'actualité tant qu'elle demeurera subversive, et quelle plus intéressante subversion que cette résistance à notre environnement libéralo-écologico-aseptico-gentillet!
Il
faut désormais que tout aille à la vitesse, à l'efficacité, à la
quantité: le toro doit être piqué vite, banderillé vite, tué vite, etc. On doit
avoir son comptant de passes, d'oreilles voire maintenant d'indultos.
Et c'est ce résultat qui conditionne la jouissance contemporaine et
non pas, comme pour les authentiques édonistes, cette philosophie de
l'attente, de la patience et de la déconvenue qui entretient la
puissance du désir.
Or,
c'est cela la corrida «a-normalisée» qui se profile. Les
ganaderias qui émergent présentent encore moins de «garanties»
que le fatras des bestioles industrialisées. Il en sortira aussi des
mansadas, des geniadas, voire des descastadas que
les tenants de la tauromachie moderne se feront un plaisir et un
devoir de dézinguer, alors même que c'est la loi du genre.
Il
faut donc craindre.
Sans
compter les problématiques de fond que nous aborderons
prochainement...
Xavier
KLEIN
4 commentaires:
Pour un cerveau en déshérence ça va pas trop mal....
Il va falloir beaucoup de posts comme le tien.....
Aficionados, il faudra de nombreux éditos de cette veine pour de nombreuses années ....
Sinon l'histoire officielle retiendra que la fiesta brava a été sauvée par Simon Casas et Pierre Albaladejo.
mario
Aco que plan parlat...diou biban !!!
Patrick S
La meilleure preuve de l'existence innombrable des contorsionnistes: au sujet justement du combat de Fernando Robleño à son 2° toro vicois; que Zocato fasse la fine bouche...nous avons l'habitude de ses volte-face de girouette; mais les bras m'en tombent lorsque je vois nombre de " toristes " scruter avec un oeil un rien dédaigneux ce que moi j'ai considéré comme un authentique combat qui m'a tenu en haleine et au cours duquel homme et animal se sont mutuellement grandis au fur et à mesure du déroulement de la faena. Cette alchimie n'aurait jamais pu se produire si little big man Fernando n'avait été grand.
Beñat
le mal est hélas profond
quand on voit que même les vicois commencent à se comporter en nimois
quelle désolation que ces deux ils viennent chercher c'est un toro un peu "torista" et qui permet des effets toreristas comme le premier la Quinta
quelle désolation de voir le second tiers prendre autant d’importance dans une corrida concours
les gens ne viennent pas voir une corrida mais assister au spectacle que certains média (Viard , Zocato,.) leur ont décrit comme devant être la corrida
Thierry Reboul
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