Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 23 mai 2013

Les prophéties eschatologiques de Saint Kleinklein

"Les quatre cavaliers de l'Apocalypse" Albrecht DÜRER
Nombreux sont ceux qui déplorent une certaine déshérence de la Brega ces derniers temps.

J'en suis, sinon désolé, sinon confus, du moins affligé -à tous les sens du terme- passant par une phase difficile qui me rend tout écrit, extrêmement ardu et coûteux.

Pour autant, cela ne m'empêche ni d'espérer, ni d'entreprendre, ni de persister à porter un regard que j'essaie toujours de contraindre à la liberté du choix et des analyses.

Je constate en outre que certaines convictions taurines, qu'avec bien d'autres je me suis attaché à défendre, ont pris force de réalité et ne sont plus aussi contestées, du moins en France.
Évidemment, comme à l'accoutumée dans notre beau pays, les résistants de la dernière heure ou les «collabos» de la première ont su s'adapter -à regret certes- à la nouvelle donne, avec la souplesse et l'habileté contorsionniste des petites gens et des suiveurs de tous poils et de tous temps. «Ils» l'avaient toujours dit, même et surtout s'«ils» ne l'avaient jamais fait.

Au final, partant de la vérité éternelle que nul ne saurait être prophète en son pays et que les Cassandre doivent toujours être sacrifiées, Klein est et restera un emmerdeur pour ne pas dire un «casse-couilles» (ce qu'il assume), même et surtout s'il avait raison.

Par contre, les caciques de l'ancien régime et les pontifes de la foi périmée continuent à jouir sans critiques et sans regrets d'une honorabilité inversement proportionnelle à leur absence de clairvoyance, de scrupules et de convictions. Sans parler des exécuteurs des hautes oeuvres devenus panégyristes de leurs victimes collatérales par Terres Taurines interposées.

La revendication d'un «toro-centre», intègre et encasté se traduit cette temporada par des évolutions, voire des révolutions dans les cartels gaulois (plus timidement dans la péninsule). Mais n'est-il pas trop tard?

90% du cheptel actuel de braves est désormais domecquisé et a été modelé selon les exigences du «toro moderne». Certains des encastes différents parmi les plus emblématiques (Miura, Victorino) ont si vigoureusement sacrifié leur caste vibrante et leur sauvagerie originale aux mirages de la «toréabilité» qu'il paraît impossible qu'ils reviennent à leurs grands fondamentaux. Comme les vandales catholiques qui ont saccagé le coeur de la Mosquée de Cordoue, au nom de la prétendue «modernité», on a détruit ce que l'on ne voyait nulle part pour édifier ce que l'on voit partout.

Ces dernières années, Miura ou Victorino constituaient dans les grandes ferias le pitoyable et trompeur alibi torista qui dupait les «spectateurs» quand il faisait hausser les épaules des connaisseurs. Le torisme authentique, il fallait le chercher -pour les élevages très renommés- chez Cuadri, Aguirre ou Escolar Gil.
Ce n'est que depuis l'an dernier, et plus systématiquement cette année, que la demande pour ces ganaderias s'est généralisée. Mais n'oublions jamais que c'est ce «conservatoire de la caste» que constitue Céret qui a d'une certaine manière «fait» Escolar ou du moins lui a permis d'exprimer ses hautes vertus.

On voit également ce qu'il est advenu d'autres élevages encastés dont les vertus originelles ont périclité au fur et à mesure que leur côte montait, que leurs lots se multipliaient et surtout qu'ils étaient consentis par les figurasses (les Baltasar Iban, les Fuente Ymbro et consorts).

Très mauvais signe lorsqu'un Talavante, un Juli ou un Pereira commence à s'intéresser à une ganaderia!

La situation me paraît grave parce qu'elle a -me semble t-il- atteint un degré d'irréversibilité par destruction de la caste et de ses niches écologiques par épuisement de la diversité. Quand je parle de caste, j'entends cet instinct guerrier irréductible et sauvage et non cette propension à une agressivité domestiquée, suave et civilisée qui «permet» au torero de tout s'autoriser et de tout réussir.

Il ne demeure dorénavant qu'une poignée d'éleveurs romantiques et souvent découragés par des années de désaveu, voire d'opprobre. Suffiront-ils à régénérer la camada, à constituer les germes actifs d'un renouveau? Rien n'est moins assuré!

Le deuxième motif d'inquiétude réside dans les motivations profondes de cette évolution. Il me semble que les notabilités taurines aux affaires s'accommodent du changement par raison plus que par adhésion profonde.
C'est à reculons, voire à contre-coeur qu'ils se sont résolus à changer leur fusil d'épaule, notamment pour des motifs économiques. Ils s'adaptent pragmatiquement à de nouvelles configurations plus qu'ils ne les désirent réellement. Et c'est du bout des lèvres, quasiment avec un dégoût hautain, qu'ils obtempèrent aux requêtes de l'«aficion indignée». Il faut les avoir entendu parler avec mépris de la plèbe taurine rebelle et criarde, qui ose gueuler, pour prendre la mesure du phénomène.

Toute une génération conditionnée à la fréquentation passionnée d'Enrique ou de Julian, au champagne, aux petits fours tapassisés ne voit guère revenir avec enthousiasme le chorizo campero et le pinard rustique de la casa. L'humilité, la modestie et l'ascétisme d'un Fernando ROBLEÑO n'ont que peu à voir avec les extravagances des divas et sont infiniment moins «chébrans», affriolants et médiaique. Imagine t-on certains jeunes cadres tauromachiques dynamiques landais s'embourbasser les Westons dans la glèbe populassière des placitas, des ganaderias de deuxième zone ou dans la fréquentation des toreros-prolétaires?

Car le fond du problème est avant tout affaire de gros sous, de pèze, d'oseille, de fric, de fraîche, d'artiche, quand ces beaux messieurs ont -enfin- compris qu'on gagnait plus à organiser une corrida torista à demie-entrée (coût du plateau toros-toreros 100.000 à 120.000 euros) qu'un lleno de corrida de luxe qui coûterait, au minimum quatre fois plus cher. Ils le comprennent d'autant mieux que les arènes se vident, crise oblige...

Alors que depuis 5 ans je ressasse dans le désert, que la problématique des grandes arènes s'articule autour de la dépense alors que celle des petites est celle de la recette, on ne sarcasme plus désormais . Mais la comprenette a été difficilette!



Le troisième motif de préoccupation tient à la césure grandissante (et largement entretenue par les susdits caciques) entre aficionados et spectateurs et à une mutation porteuse de quiproquos et d'une incompréhension structurelle.

Les corridas dites «toristas» (ou du moins plus … «complexes») exigent du public une culture taurine  approfondie  et une intelligence du toreo qui ne peuvent s'acquérir qu'avec l'expérience, la finesse et la connaissance approfondie des règles de la lidia.
La frontière entre le «bon toro» et le «mauvais toro» (pour moi, le mauvais toro n'existe pas vraiment, chaque toro ayant sa lidia adaptée ou non) procède de la compréhension et du savoir-faire du torero dont l'incurie, malheureusement commune, trompe le plus souvent son monde. A défaut de le comprendre, on prend le risque de prendre des vessies pour des lanternes.
Un santacoloma de bonne race exige une lidia appropriée, le plus souvent incompatible avec les canons du «torero moderne». Les distances, le sitio, le rythme, la sortie des suertes, sont quasiment inconciliables avec le toreo vertical, l'enchainement des passes, le «toreo de bras», le recul, etc.

Malheureusement, même nombre d'aficionados «toristas» n'intègrent pas cette contrainte et attendent des matadors qu'ils toréassent avec des toros «complexes» selon les mêmes exigences et canons qu'avec des Garces-si-grandes ou des Victorianos del Arroyo, ce qui par définition procède de l'absurde si l'on considère qu'une lidia bien menée doit s'adapter aux caractéristiques du toro.

Lorsqu'à l'automne on voit «Jesus Christ» Tomás exercer son ministère, il n'est nul besoin de culture taurine. Les extases programmées sont accessibles à tous et dirais-je, évidentes. Il n'en va nullement de même pour apprécier à sa juste valeur l'empoignade sauvage de Fernando Robleño  avec son second toro de Cebada Gago à Vic-Fezensac, le dimanche 12 mai: ici, point d'arguties esthétisantes. ça passe ou ça casse et la moindre erreur technique ou de vigilance se paie au prix fort. Il faut donc être en capacité de percevoir la richesse technique et la taille des cojones mobilisées par le maestro pour dominer le bestiau. Combien en sont capables, non par essence, mais par l'effet d'années de déculturation taurine?

Pour résumer, des toros différents ne peuvent être combattus avec les critères des «toros modernes» et le public contemporain n'y est nullement préparé. Y compris par la majorité des «reseñeros» qui, soit par ignorance, soit par désintérêt, soit par goût personnel, soit parce qu'ils «émargent à la propina» se voient dans l'incapacité effective et quasiment structurelle de remplir leur rôle d'éducation, d'explication et de décryptage.

Enfin, le dernier motif de préoccupation tient à ce que je qualifierais de «déception prévisible». Les «aficionados de verdad», qu'ils soient «toristas» ou «toreristas» -selon la terminologie courante qui me déplait- partagent la caractéristique commune d'intégrer la déception ou la frustration comme condition sine qua non de l'ascension possible au 7ème ciel des toros. Ils savent et ils veulent que leur désir soit entretenu par l'inconstance et l'imperfection consubstantielles à une célébration qui échappe à la normalisation et à la culture actuelle du résultat.
Les diverses variables du succès sont tellement aléatoires pour aboutir à l'alchimie secrète entre les désirs du public, du toro, du torero, du palco, de la météo, des chevaux -que sais-je encore- que cette conjonction mystérieuse s'avère de fait miraculeuse. Il faut un fatalisme méditerranéen, une croyance inébranlable dans le fatum, une propension à l'attente qui conditionne les hautes voluptés, une foi dans l'anarchie et l'imperfection créatrices qui ne correspondent en rien à l'esprit de notre temps.
La corrida restera toujours d'actualité tant qu'elle demeurera subversive, et quelle plus intéressante subversion que cette résistance à  notre environnement libéralo-écologico-aseptico-gentillet!

Il faut désormais que tout aille à la vitesse, à l'efficacité, à la quantité: le toro doit être piqué vite, banderillé vite, tué vite, etc. On doit avoir son comptant de passes, d'oreilles voire maintenant d'indultos. Et c'est ce résultat qui conditionne la jouissance contemporaine et non pas, comme pour les authentiques édonistes, cette philosophie de l'attente, de la patience et de la déconvenue qui entretient la puissance du désir.

Or, c'est cela la corrida «a-normalisée» qui se profile. Les ganaderias qui émergent présentent encore moins de «garanties» que le fatras des bestioles industrialisées. Il en sortira aussi des mansadas, des geniadas, voire des descastadas que les tenants de la tauromachie moderne se feront un plaisir et un devoir de dézinguer, alors même que c'est la loi du genre.

Il faut donc craindre.

Sans compter les problématiques de fond que nous aborderons prochainement...
Xavier KLEIN

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour un cerveau en déshérence ça va pas trop mal....
Il va falloir beaucoup de posts comme le tien.....
Aficionados, il faudra de nombreux éditos de cette veine pour de nombreuses années ....
Sinon l'histoire officielle retiendra que la fiesta brava a été sauvée par Simon Casas et Pierre Albaladejo.
mario

Anonyme a dit…

Aco que plan parlat...diou biban !!!
Patrick S

Anonyme a dit…

La meilleure preuve de l'existence innombrable des contorsionnistes: au sujet justement du combat de Fernando Robleño à son 2° toro vicois; que Zocato fasse la fine bouche...nous avons l'habitude de ses volte-face de girouette; mais les bras m'en tombent lorsque je vois nombre de " toristes " scruter avec un oeil un rien dédaigneux ce que moi j'ai considéré comme un authentique combat qui m'a tenu en haleine et au cours duquel homme et animal se sont mutuellement grandis au fur et à mesure du déroulement de la faena. Cette alchimie n'aurait jamais pu se produire si little big man Fernando n'avait été grand.
Beñat

thierry reboul a dit…

le mal est hélas profond
quand on voit que même les vicois commencent à se comporter en nimois
quelle désolation que ces deux ils viennent chercher c'est un toro un peu "torista" et qui permet des effets toreristas comme le premier la Quinta
quelle désolation de voir le second tiers prendre autant d’importance dans une corrida concours
les gens ne viennent pas voir une corrida mais assister au spectacle que certains média (Viard , Zocato,.) leur ont décrit comme devant être la corrida
Thierry Reboul