Humeurs taurines et éclectiques

mardi 18 mai 2010

HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI! HAÏTI!

«La feinte charité du riche n'est en lui qu'un luxe de plus; il nourrit les pauvres comme des chiens et des chevaux.»
Jean Jacques ROUSSEAU «Lettres»

«La charité a toujours soulagé la conscience des riches, bien avant de soulager l'estomac du pauvre.»
Alfred SAUVY «Pathologie de notre temps»

Allez savoir pourquoi, mais pendant ce mois de mai (et notamment bizarrement le 12), m’a titillée l’envie de parler du don, de la charité.
La charité (caritas en latin) est avec la foi et l’espérance, l’une des trois vertus théologales dans le christianisme catholique et orthodoxe. Des trois, elle incarne selon Saint Augustin: «La vertu, reine des vertus».
Dans la tradition et dans les Ecritures, elle est quasiment synonyme du mot «amour», ainsi que l’explicite limpidement la première Epitre de Jean: «Deus caritas est» (Dieu est Amour).
Cette vertu est non seulement désignée comme la plus admirable, mais occupe le centre même et la majeure partie de l’enseignement du Christ.
Il est d’ailleurs assez remarquable que l’Eglise, dans son discours actuel, semble se préoccuper infiniment plus de la morale sexuelle dont les Evangiles ne traitent quasiment pas, que de la charité et du partage, qu’ils évoquent sans cesse.
La charité se trouve donc -ou devrait se trouver- au centre de l’action et de la vie spirituelle.
Chacun jugera de cette réalité.
L’occident s’étant sécularisé et même laïcisé, n’en a pas moins conservé, adopté, adapté cette invention purement judéo-chrétienne, qui était inconnue dans le monde et la philosophie antique. Pas plus Sénèque que Platon ou Aristote n’ont traité de ce sujet.
L’occident laïcisé -et tout particulièrement la France- a repris et réaménagé le concept d’origine, en profitant au passage pour modifier sa désignation trop connotée religieusement. On parle désormais de solidarité, de partage.
L’important me semble t-il, demeurant que la chose se pratique, quelqu'en soit l'appellation.
Il y a pourtant une différence fondamentale. La charité procède d’un acte personnel, gratuit, volontaire et libre, alors que la solidarité est une prescription obligatoire de la loi, conquise par des lustres de luttes sociales.
C’est d’ailleurs toute la différence entre les (de moins en moins) socio-démocraties européennes où prévaut (prévalait?) l’impératif de solidarité, et l’ensemble libéral U.S. où ces «menus détails» relèvent de l’initiative privée caritative.
Le lecteur appréciera à sa juste valeur, la saveur à mon sens profondément perverse et antinomique de l’expression «charity business».
Philosophiquement, religieusement et politiquement, il va sans dire que je privilégie la solidarité, injonction d’une société qui recherche la justice et l’atténuation des inégalités, à la charité qui demeure, comme toute prescription religieuse, un acte personnel et privé, qui peut être certes complémentaire, mais ne saurait se substituer au devoir public.
L’envahissement progressif de l’espace européen par des idées et des pratiques provenant d’outre-atlantique a encouragé le développement d’activités «exotiques».
Ainsi, à partir des années 1980 se sont développés les «Band Aids» sous l’égide de Bob Geldof pour soutenir l’Ethiopie, le Bangladesh, etc.
La formule se perpétue toujours, permettant à certaines vedettes sur le retour, des «has been» de la ritournelle, de se manifester en prouvant par des organes souvent défaillants qu’ils ne sont pas encore décédés.
Personnellement –mais ici tout le monde sait que j’ai mauvais esprit- j'inclinerais fortement pour qu’on œuvre à une répartition plus équitable des richesses mondiales. Mais il se trouve toujours des esprits éclairés qui préfèrent expédier des avions-cargos bourrés des surplus inutilisés et encombrant des pays développés pour permettre à ces populations dans le malheur de mettre plus longtemps à crever, et de surcroît de liquider les ultimes producteurs locaux. Question d'éthique...
L’envoi de lait en poudre Nestlé en Ethiopie, et l’accoutumance à ce produit momentanément gratuit, a magnifiquement réussi à éradiquer l’élevage laitier de la contrée.
Mais il n’est pas besoin d’aller porter des sacs de riz chez les "potes au Négus", voyons simplement chez nous combien l’usage des «Restos du cœur», version moderne et louable des soupes populaires, constitue la soupape de sécurité qui permet d’éviter une réflexion et surtout une action politique pour résoudre l’indignité de la misère qui s’exprime à nos portes.
Autre exemple de la bienfaisante influence anglo-saxonne, la multiplication dans les «seventies» des confréries de bienfaisance, qu’on nomme aussi «clubs services» (vous savez les notables réjouis et sympathiques qui se montrent à l'entrée de certaines arènes pour louer des coussins): Table Ronde, Rotary, Lion’s club, et autres Kiwanis. Une super formule qui sous couvert de générosité, permet de se retrouver entre gens de bonne compagnie, d’entretenir des réseaux fructueux et donc de mêler l’utile à l’agréable: business, petits grailloux entre cadres dynamiques et modernes. On bouffe pour 100 euros dont 10 vont à la charité.
Rien de tout ce cirque n’est en soi bien nouveau comme le confirme le vieil adage: «Charité bien ordonnée commence par soi même». On l’adapte désormais à toutes les sauces.
Prenons un exemple complètement au hasard: le désastre d’Haïti.
Cela fait des lustres qu’y sévit la plus noire des misères, dont tout le monde ou presque se contrefoutait. Les crédits de l’aide internationale au développement –c’est à dire de la solidarité- ne cessent de se restreindre.
Il existe depuis très longtemps des associations qui y oeuvrent dans l’ombre, des projets et des organisations d’imposition volontaire auquel on peut adhérer par éthique personnelle.
Cela ne procède pas d’un geste de charité, mais d’un acte de solidarité que l’on s’impose librement même si la loi ne vous y oblige pas. C’est déjà une démarche positive dans la mesure où l’on n'attend pas qu’un désastre vienne solliciter l’EMOTION, mais qu’il reflète une prise de conscience de la RAISON sur la durée. On adhère parce qu’on sent qu’on le DOIT, par conviction humaniste profonde.
L’idéal serait que la chose ne soit pas facultative mais devienne un devoir obligé. Le brave haïtien ne doit pas dépendre de l’émotion , du bon vouloir ou de la générosité occidentale, il a droit à la dignité d’un homme, frère en humanité, et non à la piécette qu’on lui jette pour avoir bonne conscience. Et cela requiert des changements politiques profonds pour une planète organisée avec justice et équité.
En prenons-nous le chemin par le libéralisme?
J’ai dit plus haut que je me rapportais à des références philosophiques et religieuses. Il en est une qui codifie parfaitement l’exercice de la charité, qui résume complètement ma pensée, et la nausée que certains évènements m’inspirent. Elle peut se passer de commentaires (mais je pourrais éventuellement expliciter).
«Quand donc tu fais l'aumône, ne va pas le claironner devant toi; ainsi font les hypocrites, dans les synagogues et les rues, afin d'être glorifiés par les hommes; en vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta droite, en sorte que ton aumône demeure secrète».
Evangile de Matthieu 6:2-4

«Que ta main gauche ignore ce que fait ta droite».
Quand on donne, on le fait dans le silence et le secret de son cœur, sans rien attendre. Tout le reste est hypocrisie, duperie ou pire exploitation de la détresse humaine…
A voir certaines affiches on comprend où est le centre d'intérêt, surtout pas dans les Caraïbes.
Le mot décence conserve t-il encore un sens?
Bien entendu tout cela n'a rien à voir avec la tauromachie!
Xavier KLEIN

10 commentaires:

el chulo a dit…

mon cher xavier,

je voulais te téléphoner pour te féliciter, mais tu travaillais ce que j'ai cessé de faire.

il est évident pour moi, qu'en plus du show bizz et les ringards qui voient une opportunité de filer inespéremmant leur gueule dans un media, cette dégoulinance de bonne conscience me fait gerber.

moins féru que toi dans la chrétienté, je dirai que "l'enfer est pavé de bonnes intentions".

l'episode castella a démontré que passée l'émotion primaire des images, d'un désastre au demeurant monstrueux puisque si j'en crois certains chiffres, mais sont t'ils vrais? on serait à 200 000 morts, les gens avaient grand besoin d'une réactivattion des grands médias, qui eux, regardent ce qui va leur faire de l'audience.

donc, circulez il n'y a rien à voir de plus.

je suis fatigué de ces gens qui ont besoin de dire combien ils sont bons, pour peu qu'une caméra ou un plumitif traine par là.

et, en même temps qu'on donne un bonbon à un enterré vivant, on enfonce un vivant.

Anonyme a dit…

Que dire alors de ceux qui ne donnent rien en se cherchant des prétextes ?

Xavier KLEIN a dit…

C'est tout le problème: où l'on oblige à donner et cela s'appelle l'impôt; ou l'on est pas obligé à donner et l'on a aucunement à s'en justifier.
La répartie du genre: "Et vous qu'est-ce que vous faites?" me paraît parfaitement stupide et sans objet. On fait ce qu'on veut tant qu'on n'est pas obligé à le faire, sans avoir à s'en expliquer.
Dans tous les cas, faut-il une exhibition pour donner?

Anduzano a dit…

L'expérience montre que passé un mois l'émotion retombe. Surtout une fois les bambins adoptables adoptés. Comment voulez-vous faure des belles unes une fois passés les "miracles" des gens retrouvés sous les décombres.
Trop loin Haïti. Trop pauvre. Trop ceci, trop cela.Et puis les Haïtiens, ils exagèrent : déjà qu'ils crèvent de misère depuis des décennies (un peu grâce à nous il faut bien dire), ils en rajoutent avec un tremblement de terre. Si c'est pas nous forcer la main, ça.
Bon eh bien, nous, en tout cas on a payé de notre personne : et on est même sortis trempés des arènes. C'est de la solidarité, ça, où je ne m'y connais pas.

Xavier KLEIN a dit…

C'est vrai qu'ils exagèrent quand même.

el chulo a dit…

je ne pense pas que ceux qui ne donnent pas aient à se chercher de prétextes.
il y en a aussi suffisamment qui donnent, curieusement, à l'inverse des impots.
il en est aussi beaucoup qui donnent sans le hurler sur les toits, même si, en toute lucidité, ils savent combien il est aléatoire que leur don arrive aux victimes, ce qui rend leur geste d'autant plus méritoire, si on peut dire.
et malheureusement, d'autres "vivants" auront à attendre que la terre se dérobe sous leurs pieds ou que le ciel leur tombe sur la tête, ou que la mer les engloutisse pour qu'on leur prête la moindre attention, c'était le sens de "on enfonce les vivants".

Bernard a dit…

Mon cher Xavier,

Dès que j'ai commencé à lire ton texte, m'est venue immédiatement à l'esprit cette histoire de "main gauche et de main droite", mais j'en avais perdu la référence textuelle: sois donc remercié de l'avoir rappelée ici...

Quant à la différence entre charité et solidarité, il me semble que la charité - parce qu'individuelle - est humainement arbitraire (de l'ordre du "bon plaisir", ou du si post-moderne et pubeux "où je veux quand je veux"), tandis que la solidarité - parce que collective - engage beaucoup plus la part sociale de ce mammifère social qu'est Homo sapiens...

Et puis, comment ne pas penser, question "main droite et main gauche" - où les taurins en connaissent un rayon (!), que la vraie charité - c'est à dire le souci de l'autre avant celui de soi (et en l'occurrence le souci du "toro") eût consisté, pour cette récente "Nîmes charity business bull", en ce que le régional de l'étape (et néanmoins bitterois) se fût confronté à (et pas dès lors pas du tout au hasard): Prieto de la Cal (à la mode Saint Martin de Crau), Baltasar Iban (à la sauce alésienne), Adolfo Martin (même sauce), Escolar Gil, Fernando Palha, et Dolores Aguirre!... Et là, je ne sais pas si la main gauche eût ignoré ce qu'aurait fait la main droite, mais il n'aurait sûrement pas fallu confondre - ou prendre l'une pour l'autre...

Abrazo - Bernard

Serge a dit…

"Mode cynisme sur on"
Après la déclaration de Casas ("je suis effondré" in Midi-Libre une semaine après le séisme meurtrier) il fallait bien 6 taureaux et un Castella pour faire trembler les arènes...
"Mode cynisme sur off"

Je lis beaucoup de choses sur ce sujet que vous abordez, mais là vous touchez profondément. J'aime beaucoup vos mots en majuscules hurlantes. Il ne manquait que le mot altérité pour sur-boucler.
Merci Monsieur, sincèrement, d'appesantir ainsi sur les mondes de brutes.

el chulo a dit…

la gauche, je parle de la main est celle du coeur non?

Jean-Paul Richier a dit…

N'était-ce votre référence obligée à la fiction divine, voici un article porteur de fort judicieuses réflexions.