Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 4 juin 2009

PERIPLE TAURIN: VIC et NIEVES

Comme annoncé dans le dernier article, la Pentecôte fut rude: samedi vicois, dimanche castillan, lundi tolédan.
Tout avait débuté fort mal. Les effets de la crise avaient poussé à l’occupation du pont d’Aire sur Adour par les salariés désespérés d’entreprises locales.
Furibard, j’ai erré pendant quasiment une heure dans la campagne aturine, cherchant, dans le dédale des déviations de fortune, la voie vers le Saint Sépulcre vicois.
La beauté des paysages, la sérénité de la nature m’ont appelé à quitter cette indignation et cette colère qui naissent du désir frustré. Oui, j’allais être en retard aux Flores de Jara, mais combien plus importante était la colère de ces frères humains dont la vie était broyée par une impitoyable logique économique. La vie, l’âge, la passion, l’unique considération de nos désirs nous rendent indifférents, insensibles et égoïstes. C’est une vérité qu’il nous faut regarder sans artifices, et dont nous devons nous prémunir au risque de perdre la quête de l’essentiel: l’Homme.
Et finalement, ce week-end se plaça, sous le signe de l’Homme, de ces humains rencontrés, tellement plus importants que tous les toros du monde. Une affirmation humaniste qui doit faire la grandeur des aficionados de verdad, et déjuger les anti-corridas, qui identifient et mesurent à la même aulne, l’homme et l’animal.
J’ai pris un grand plaisir à découvrir les visages de nombre de «pèlerins des blogs» les amis de Campos y Ruedos, Pelayo, Pedrito, Lionel, Florent (et bien d'autres, tout aussi chers qui me pardonneront de ne pas les citer), que je ne connaissais que par leurs écrits. Et ces rencontres pour trop brèves qu’elles fussent, remplirent mieux ma journée et mon souvenir, que les excellents novillos de Bucarré –du moins des 4 derniers que je réussis à voir- ou des redoutables Escolar qui animèrent la tarde.
Les conclusions taurines de la journée me laissèrent un goût d’amertume.
D’évidence, il foisonne autant de néophytes gueulards (ou de gueulards néophytes) chez les toristas que chez les tenants de la toreria «moderne».
Réclamer et obtenir des vueltas pour des toros qui prennent des piques en mansos me paraît stupide et déplacé. Le toro idéal –existe t-il et doit-il exister?- me paraît devoir allier bravoure avant tout, noblesse, un poignée de genio, une grande louche de sauvagerie, un zeste de sentido et surtout, suffisamment de ressources physiques pour pouvoir exprimer les ingrédients. Le problème est dans les proportions et dans une identification claire de la nature réelle des qualités ou des défauts des toros. L’aspect spectaculaire de certaines piques où le toro exprime de la puissance et de la violence ne saurait, par exemple, gommer les étriers qui sonnent, les sorties sans sollicitations d’une mansedumbre évidente.
De même, l’exigence envers les toreros me semble bien souvent inappropriée voire à la limite de l’indécence. Aucun torero, dés lors qu'il accepte de se colleter avec un Escolarne ne me paraît mériter qu’on le siffle indûment. Qu’on vilipende David MORA en fin de premier tercio, pour avoir fait assassiner son toro à la pique, certes, mais j’ai entendu certains noms d’oiseaux pendant la faena, qui étaient indignes à l’endroit d’un jeune homme qui se confronte régulièrement à du bétail très souvent impossible. Que n’a t-on les mêmes exigences vis à vis des figuras!
Ignorance crasse de nombreux spectateurs qui attendent qu’on serve à des toros de respect, les mêmes chefs d’œuvres d’horlogerie suisse, qu’ils admirent béatement sur les petits écrans ou durant les grands cycles ferials. Faut-il préciser ici que certaines faenas ne se monnaient qu’à la passe, et que parfois ces passes doivent se limiter à du piton a piton, quand le toro l’exige. Demander plus est demander trop. L’abnégation tomasiste ou castellienne n'existe que par la limitation du risque présenté par des adversaires en général accommodants. Gardons-nous de l’oublier jamais.
Au risque de m’attirer quelques foudres, ce dont je n’ai cure, le snobisme vicois de certains s’exhibe aussi pitoyablement et ridiculement que le snobisme nîmois, bayonnais, arlésien ou dacquois. Certains viennent y gagner le brevet d’honorabilité torista, qui leur permet de justifier d’autres choix plus contestables. On les voit se pavaner à Vic, plus rarement à Céret, mais quasiment jamais dans ces petites plazas où pourtant s’entretient une aficion brûlante, qui n’est jamais récompensée par la notoriété, la médiatisation et les profits financiers. Etre vu là où l’on montre semble être la condition de leur choix.
Voulez-vous connaître ces plazas? Il suffit de lister celles où Signes du Toro ne filme jamais…
Il me fallait me porter à la rencontre d’autres hommes, sous d’autres cieux et le lendemain je traçais la route de Mayalde (province de Zamora) pour préparer le support vidéo de promotion de la journée taurine d’Orthez.
Nous avons souhaité centrer cette promotion sur une information avisée et intelligente de l’aficionado. Instruire le public (on ne se refais pas), particulièrement la cohorte des locaux pour qui la corrida d’Orthez est souvent l’unique accès à la tauromachie, de ce qu’ils allaient voir, des caractéristiques, de l’histoire, de la vie des toros de Santacoloma d’Angel Nieves et d’Adolfo Montesinos, de la passion de ces ganaderos, de leurs objectifs, de leurs épreuves, de leurs doutes.
Nul esprit publicitaire, nulle «réclame», mais des paroles simples et sincères qui permettent de mieux comprendre, de mieux choisir et de mieux apprécier.
C’est ainsi que l’ont compris les éleveurs, et les toreros que nous nous sommes attachés à convaincre, que notre démarche s’inscrivait un peu dans un esprit commercial (il faut bien remplir les arènes), et beaucoup dans la passion.
N'en doutons pas, Orthez sera un manifeste pour une autre tauromachie, celle du lien humain, contre celle des affaires, celle de l'artisanat contre celle de l'industrie, celle de l'authenticité contre celle des faux-semblants et de la mode.
Tous les acteurs en sont conscients, et pour tous il y a un enjeu et un challenge.
On m’a souvent dit et répété, que devenu organisateur, je ne pouvais plus penser en aficionado. C’est le genre de lieu commun que je réfute catégoriquement, et pour ceux qui me connaissent, que je suis assez con pour infirmer contre vents et marées.
Comme Angel Nieves, qui consume sa vie, sa santé, ses biens, au service de sa passion, entraînant, tel un Don Quijote moderne, femme et enfant dans sa déraison sublime.
Les toros justifient-ils de tels sacrifices, de tels renoncements?
Les pèlerins de Saint Jacques prétendent qu’on ne «fait pas le chemin», mais que c’est le chemin qui vous fait. Sans doute en va t-il de même pour les toros, et pour le reste. C’est l’effort, la tension vers un but, la discipline qu’on s’impose qui forme l’homme, quelle que soit la voie.
Les mystiques ne sont pas tous dans les monastères…
Voyez la dernière photo: elle crie!

Xavier KLEIN
D'autres photos de la série prochainement sur le site de la Commission




4 commentaires:

Bernard a dit…

Cher Xavier,

"L'abnégation tomasiste ou castellienne n'existe que par la limitation du risque présenté par des adversaires en général acommodants".

Je te cite avec plaisir (!) car, me semble-t-il, là est le point de bascule, avec pour mots clés "abnégation" (je dirais plutôt "tremendisme"...), "limitation du risque" et "accomodants"...

Dès lors, dira-t-on que face à des toros type Vic - comme tu l'as aussi souligné - les faenas préfabriquées et stéréotypées sont vouées à faire faillite, et que l'ultime leçon donnée par le maître Espla le lundi était justement la sobriété et l'efficacité (4 courtes séries de la droite à son dernier toro, avant mise en place et estocade)... Mais, des toros pour Vic (ou Céret, ou... Orthez), pour combien de temps en avons-nous encore, tant la sélection actuelle nous en fabrique des "accomodants" (y compris chez Victorino?...). Et là, ce qui importe, me semble-t-il, est plutôt la logique interne de ce qui se passe (où allons-nous?) qu'une éventuelle - et inutile - déploration...

Suerte - Bernard

Lionel a dit…

Plaisir partagé Xavier, peut-être pourrons-nous prochainement continuer notre discussion du bar des arènes. Mon prochain périple sera Céret, avec un rapide va et vient depuis le nord de mon exil, juste pour les 3 courses. Ensuite Parentis.

Pedrito a dit…

Enchanté, ravi, heureux, d'avoir enfin rencontré des aficionados encore plus sympas que je ne les imaginais!
Xavier, Batacazo, Lionel, et toute la jeune génération de toristas amis et qui se reconnaitront.

Alors, cette prochaine coordination des résistants aux dérives mercantiles de la corrida des toreros : Céret, Parentis ?

Pelayo a dit…

Don Javier, ce fut un réel plaisir pour moi de faire votre connaissance. En ce moment, je planche sur le sens historique du terme "bravo"...