La lumière frappe drue sur les cercados. La pluie n'arrose plus la terre fendue et ne féconde plus la poussière depuis déjà des semaines. La fenaison sera indigente.
Ivan VICENTE nous attend dans sa berline climatisée devant le portail de la finca. Il en extirpe sa silhouette longiligne et féline, le visage éclaboussé d’un sourire colgate, l’œil pétillant, la lunette playboyesque, colifichet de cuir au poignet, enfin tous les attributs du parfait séducteur latino dont ma grand-mère disait: «- Celui-là, il leur tord le cou sans les faire crier!».
Ivan est vraiment un charmant garçon, il se fait un art d’une élégante nonchalance, qui ne semble jamais rien prendre au sérieux. Pourtant il y a un «je-ne-sais-quoi» dans l’attitude qui trahit imperceptiblement le torero, non pas seulement dans les postures ou le maintien, mais par ces ombres qui viennent parfois voiler de gravité le regard rieur et enjoué.
Abrazo cordial, vigoureux et sincère. Nous roulons vers la placita de tienta et les corrals.
Adolfo MONTESINOS nous attend, son regard océanique alterne la rêverie et l’examen perçant des choses et des êtres. Il a des mines gourmandes de prélat vatican qui cachent, sans y parvenir vraiment, l'exaltation dévorante qui l’anime. Cet homme là est une encyclopédie ambulante du toro brave. Lancez le nom d’une ganaderia, et il vous déroule illico, l’ascendance, les lignées, la succession des propriétaires, les anecdotes, en précisant éventuellement le cas qu’il tient de ses produits.
Raul VELASCO nous rejoint plus tard. Raul, c'est la sincérité, le don, le généreux enthousiasme. Raul se perd souvent dans des méditations improbables et son visage se fige dans des rêves de charges, dans la grâce d'une naturelle profonde et templée, celle qu'il offrira un jour à n'en pas douter. Avec une ingénuité presque enfantine, il s'enflamme dans l'apologie fervente de ces santacolomas qu'il apprécie tant.
En compagnie d'Oscar, le jeune mayoral taiseux mais lui aussi nourri de la passion, nous passons de cercado en cercado, pour admirer les toros d'Adolfo, les filmer et les photographier. L'opération n'a rien d'une sinécure, le santacoloma est volontiers turbulent et naturellement agressif. Adolfo a séparé le lot en 4 groupes pour mettre un terme aux peleas qui ont amenuisé le choix d'origine. Il a parfois mélangé les quatreños avec des jeunots afin d'éviter les rivalités.
Nous cherchons un brin d'ombrage en limite d'un enclos pour procéder aux interviews. Las! Le vent vient contrarier nos projets et nous nous rabattons sur la cantina qui surplombe la placita, où les fauves, pour l'heure placides, semblent ruminer l'éternité avec une patience infinie.
Toreros et ganadero nous content leurs attentes et leurs espoirs: Orthez, 26 de Julio, à las 6 de la tarde, ils ont rendez-vous avec leurs désirs de toros et de gloire. Les toros eux, s'en foutent, ils ne connaissent que le présent.
Lors de la collation campera nous devisons. Les potins du mundillo, la carrière de chacun, les perspectives, Ivan à Madrid, ce toro important à coté duquel il est passé. Baste! Les toreros ne sont pas des machines, et c'est pour cela que nous les aimons. Laissons l'obligation de résultats aux illusionnistes politiques ou aux populistes taurins. Raul raconte à Ivan, très étonné, son expérience vicoise. Jean François, notre ami bayonnais qui le suit, a eu la profonde intelligence de lui faire humer l'air des arènes depuis les tendidos. Il évoque les applaudissements aux piques alors qu'en Espagne, on tend plutôt à abréger le tercio pour complaire au public, ce qui incite au premier puyazo assassin.
Nous leur confions notre projet de valoriser le premier tercio, et le débat qui court en France à ce sujet. On évoque l'influence et la pesanteur des cuadrillas, le rôle des piqueros et la difficulté d'en trouver de compétents, surtout quand on n'assure qu'un nombre limité de corridas.
Pour ma part, la relation avec le mundillo, ses codes et ses règles de fonctionnement demeure délicate et complexe. J'observe, je comprends, mais bien souvent je ne parviens ni à adhérer, ni à cautionner nombre de pratiques dans cette "mesclade" de code d'honneur fluctuant, d'amitiés équivoques, d'exploitation forcenée, où en fin d'analyse, dans la majorité des cas, seul l'intérêt prévaut. C'est un "milieu" dur où la valeur, la loyauté, la droiture, la reconnaissance ne sont que rarement des vertus productives. On en connaît tant de ces talents écrasés pour cause d'insoumission ou de franchise, tant de rêves fracassés, tant de jeunes hommes brisés.
Je déteste les discours apologétiques parce qu'ils sont réducteurs de la pensée et de la complexité de l'humain. Comme disait l'autre, quand j'entends le mot "valeurs", je sors mon pistolet. Les "valeurs de la tauromachie", les "valeurs du rugby"! Foutaises! Voilà le paravent derrière lequel se dissimulent toutes les bassesses et toutes les avanies... Passée l'illusion romantique, il en va de la tauromachie comme du reste: le théâtre de l'humanité, qui décline la comédie humaine du sordide au sublime.
Ivan gravement m'interpelle: "- Xavier, surtout ne change pas! Reste en dehors de tout cela."
Cher Ivan, à la fois si léger et si profond, en un mot si espagnol! Que Dieu te garde et qu'un jour passe ce toro qui te permettra de tout dire, sans avoir à parler!
Raul VELASCO nous rejoint plus tard. Raul, c'est la sincérité, le don, le généreux enthousiasme. Raul se perd souvent dans des méditations improbables et son visage se fige dans des rêves de charges, dans la grâce d'une naturelle profonde et templée, celle qu'il offrira un jour à n'en pas douter. Avec une ingénuité presque enfantine, il s'enflamme dans l'apologie fervente de ces santacolomas qu'il apprécie tant.
En compagnie d'Oscar, le jeune mayoral taiseux mais lui aussi nourri de la passion, nous passons de cercado en cercado, pour admirer les toros d'Adolfo, les filmer et les photographier. L'opération n'a rien d'une sinécure, le santacoloma est volontiers turbulent et naturellement agressif. Adolfo a séparé le lot en 4 groupes pour mettre un terme aux peleas qui ont amenuisé le choix d'origine. Il a parfois mélangé les quatreños avec des jeunots afin d'éviter les rivalités.
Nous cherchons un brin d'ombrage en limite d'un enclos pour procéder aux interviews. Las! Le vent vient contrarier nos projets et nous nous rabattons sur la cantina qui surplombe la placita, où les fauves, pour l'heure placides, semblent ruminer l'éternité avec une patience infinie.
Toreros et ganadero nous content leurs attentes et leurs espoirs: Orthez, 26 de Julio, à las 6 de la tarde, ils ont rendez-vous avec leurs désirs de toros et de gloire. Les toros eux, s'en foutent, ils ne connaissent que le présent.
Lors de la collation campera nous devisons. Les potins du mundillo, la carrière de chacun, les perspectives, Ivan à Madrid, ce toro important à coté duquel il est passé. Baste! Les toreros ne sont pas des machines, et c'est pour cela que nous les aimons. Laissons l'obligation de résultats aux illusionnistes politiques ou aux populistes taurins. Raul raconte à Ivan, très étonné, son expérience vicoise. Jean François, notre ami bayonnais qui le suit, a eu la profonde intelligence de lui faire humer l'air des arènes depuis les tendidos. Il évoque les applaudissements aux piques alors qu'en Espagne, on tend plutôt à abréger le tercio pour complaire au public, ce qui incite au premier puyazo assassin.
Nous leur confions notre projet de valoriser le premier tercio, et le débat qui court en France à ce sujet. On évoque l'influence et la pesanteur des cuadrillas, le rôle des piqueros et la difficulté d'en trouver de compétents, surtout quand on n'assure qu'un nombre limité de corridas.
Pour ma part, la relation avec le mundillo, ses codes et ses règles de fonctionnement demeure délicate et complexe. J'observe, je comprends, mais bien souvent je ne parviens ni à adhérer, ni à cautionner nombre de pratiques dans cette "mesclade" de code d'honneur fluctuant, d'amitiés équivoques, d'exploitation forcenée, où en fin d'analyse, dans la majorité des cas, seul l'intérêt prévaut. C'est un "milieu" dur où la valeur, la loyauté, la droiture, la reconnaissance ne sont que rarement des vertus productives. On en connaît tant de ces talents écrasés pour cause d'insoumission ou de franchise, tant de rêves fracassés, tant de jeunes hommes brisés.
Je déteste les discours apologétiques parce qu'ils sont réducteurs de la pensée et de la complexité de l'humain. Comme disait l'autre, quand j'entends le mot "valeurs", je sors mon pistolet. Les "valeurs de la tauromachie", les "valeurs du rugby"! Foutaises! Voilà le paravent derrière lequel se dissimulent toutes les bassesses et toutes les avanies... Passée l'illusion romantique, il en va de la tauromachie comme du reste: le théâtre de l'humanité, qui décline la comédie humaine du sordide au sublime.
Ivan gravement m'interpelle: "- Xavier, surtout ne change pas! Reste en dehors de tout cela."
Cher Ivan, à la fois si léger et si profond, en un mot si espagnol! Que Dieu te garde et qu'un jour passe ce toro qui te permettra de tout dire, sans avoir à parler!
Xavier KLEIN
D'autres photos de la série prochainement sur le site de la Commission
http://torosorthez.blogspot.com/
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