«Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas la mort, mais la crainte de la mort?»
Epictète «Manuel»
Du temps de ma folle jeunesse, la «mexicaine» évoquait surtout une gâterie genre cravate notariale, que les demoiselles bien élevées consentaient aux chenapans entreprenants ou aux vieux kroumirs affligés d’un retard à l’allumage. Le mot portait alors à sourire.
A en croire les medias, le Mexique est maintenant la source de la pandémie du début du siècle, du fléau qui ravagera nos maisons de retraite, exterminera nos enfants et dépeuplera nos campagnes.
On rabâche à l’envie les 50 millions de victimes de l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1920, sans préciser bien sûr que les temps n’étaient pas les mêmes. Que l’hygiène, les soins, les médicaments, n’avaient rien de commun avec le contexte actuel. Que cette épidémie s’est développée à la fin du conflit dans le contexte de malnutrition de nations ravagées, affaiblies et désorganisées par la Grande Guerre.
Je regardais hier soir l’excellente émission de France 5 «C dans l’air» sous le titre «Le virus qui affolait la planète» (http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php?page=resume&id_rubrique=1149). Yves CALVI, excellent journaliste s’il en est, posait, me semble t-il, les bonnes questions: désinformation? Surinformation? Information?
Il est corsé le corse, il pose souvent les questions qui dérangent, du type: « -Parler de ça, n’est-ce pas s’abstenir de parler d’autre chose? Mobiliser sur ça, n’est ce pas démobiliser sur autre chose?». On se demande à quoi peut-il bien faire allusion. Tout ne va'ty pas pour le mieux dans le meilleur des mondes? La suractivité hystérique de nos gouvernants, l'image rassurante des hangars bourrés de caisse de Tamiflu, auront-ils le même effet lénifiant et régulateur que les injonctions ministérielles d'antan pour stopper le nuage de Tchernobyl à nos frontières? Comment ne pas penser qu’ils oeuvrent utilement au salut de la patrie, les braves gens ?
En France on a toujours goûté de ces rodomontades qui apaisent le bon peuple. En 1870, il ne manquait pas un bouton de guêtre, en 1940, la «poche était colmatée», alors que les fridolins étaient à Bordeaux. L’important en la matière, c’est de mettre de la conviction dans le propos.
En introit, l’émission donnait dans le catastrophisme ambiant. Un éminent virologue, à la mine funèbre et angoissée de circonstance, au teint fielleux de croque-mort en nervous breakdown, entonnait l’hymne mortifère d’une catastrophe annoncée, alertant l’opinion sur le péril des maladies respiratoires (notamment de la grippe), première cause de mortalité, loin devant les cancers et les pathologies cardiaques. On apprenait ainsi qu’au hit-parade de la gueuse, la pneumonie recevait le césar, sans contestation possible. A quand un pneumoniethon?
Et puis vers la fin, on concéda la parole à l’emmerdeur de service. Vous savez, ce genre de rombier qui, avec calme et autorité, vient vous «chier la baraque» que vous avez laborieusement édifiée.
Ce monsieur rappela qu’il ne s’agissait après tout que d’une grippe, que parmi les peurs éternelles de l’humanité, figurait celle des «grandes épidémies» et que peur et réalité étaient deux choses différentes.
On peut résumer sa conclusion par une question ô combien simple, ô combien évidente, mais ô combien troublante pour notre société: « - Mais de quoi voulez-vous qu’on meure, sachant qu’il faudra bien mourir?»
Et là est tout le problème.
Ce refus obstiné et pathétique d’accepter l’évidence de notre condition d’humains et de ses contingences.
Une canicule, quelques virus, une poignée de bactérie, et l’on déclenche le plan ORSEC. On ne se résout plus à l’inéluctabilité des lois de mère nature, à la fatalité d’un destin dont on veut ignorer qu’il n’est pas un long fleuve tranquille. On veut tout contrôler, tout maîtriser, pour écarter à tout prix cette angoisse existentielle qui accompagne l’homme depuis son aube (en tant qu’individu et en tant qu’espèce), celle de son incontournable mortalité.
Pour échapper à cette angoisse, qui est, rappelons le, consubstantielle de notre humanité, de notre fonctionnement psychique, sans laquelle nous ne serions pas humains, notre société est disposée à s’imposer des amputations et des sacrifices sans commune mesure, et au premier plan de ceux-ci, la mutilation du plaisir et de la volupté.
Il y a ce chiste du clampin qui va voir son toubib et lui demande comment faire pour vivre longtemps. Le chaman lui répond: «- Manger, mais très modérément, pas d’alcool, pas de graisse, viande ou poisson une fois par semaine, pas de foie gras, pas de confit (pourtant c’est pas gras le confit!), pas de sauces, pas de sucreries. Puis le sport attention! 2h de marche quotidienne soutenue, éviter les efforts violents. Le sexe, avec précaution: une séance hebdomadaire au plus avec bobonne (attention aux M.S.T.!), sans mignoteries épuisantes. La boisson? Eau minérale. Lever 6h. Coucher 22h. Pas d’émotions fortes. Air pur. Vie saine.». Vaguement inquiet, le gazier insiste: «- De cette manière, vivrai-je longtemps?». «- Sûrement répond le docteur, mais qu’est-ce que ce sera long!».
Nous vivons une société de la rassurance et de la sécurité: on ne boit plus, on ne fume plus, on ne baise plus, on roule lentement, on surveille sa ligne. Bientôt il faudra assurance, permis, diplôme, adhésion à une fédération, pour accomplir des taches aussi naturelles que de se baigner dans l’océan, faire de la montagne, de la voile ou grimper aux arbres. Des fois que…
On étouffe aussi et l’on s’ennuie ferme, mais qu’importe, les légumes aussi dans leur serre.
«- Tuer, c’est pas beau!» hébétait récemment Francis LALANNE lors d’un énième débat stérile sur la corrida, comme il eût pu de même ânonner: «- La mort, c’est pas beau!». Tout un programme!
Shiva («le bon», «le gentil») est dans l’hindouisme le Dieu de la destruction, et par là même celui de la régénération de la renaissance et la source créatrice. Il n’y a pas de vie sans mort.
Les anciens sous toutes les latitudes et depuis l’aube des temps jusqu’au début du glorieux vingtième ont vécu dans la proximité de la mort, dans un équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort, entre Eros et Thanatos.
La folie contemporaine, l’abandon des racines et des traditions nous conduit à une vision du monde pervertie et dangereuse.
C’est contre cette tendance que se célèbre un rite taurin marqué par un message actuellement subversif, en ce qu’il contrevient à la vulgate moderniste.
La corrida, n’en déplaise à ses défenseurs esthétisants, c’est surtout et avant tout la commémoration de l’histoire de l’homme et la célébration de son destin tragique. C’est la mise en scène ritualisée de l’objet principal de son existence: la mort et la conscience de sa propre fin. Car la conscience est d’abord le savoir de sa propre mort, qui permet le savoir de sa propre vie.
Laissons les insensés poursuivrent leurs chimères, c’est leur droit, même si c’est leur illusion.
Mais ne permettons pas qu’ils se mêlent de nous imposer leur folie, et n’autorisons pas non plus qu’on altère l’essence même de cette vérité.
La corrida est ésotérique et ne se dévoile réellement qu’au chercheur de vérité.
A en croire les medias, le Mexique est maintenant la source de la pandémie du début du siècle, du fléau qui ravagera nos maisons de retraite, exterminera nos enfants et dépeuplera nos campagnes.
On rabâche à l’envie les 50 millions de victimes de l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1920, sans préciser bien sûr que les temps n’étaient pas les mêmes. Que l’hygiène, les soins, les médicaments, n’avaient rien de commun avec le contexte actuel. Que cette épidémie s’est développée à la fin du conflit dans le contexte de malnutrition de nations ravagées, affaiblies et désorganisées par la Grande Guerre.
Je regardais hier soir l’excellente émission de France 5 «C dans l’air» sous le titre «Le virus qui affolait la planète» (http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php?page=resume&id_rubrique=1149). Yves CALVI, excellent journaliste s’il en est, posait, me semble t-il, les bonnes questions: désinformation? Surinformation? Information?
Il est corsé le corse, il pose souvent les questions qui dérangent, du type: « -Parler de ça, n’est-ce pas s’abstenir de parler d’autre chose? Mobiliser sur ça, n’est ce pas démobiliser sur autre chose?». On se demande à quoi peut-il bien faire allusion. Tout ne va'ty pas pour le mieux dans le meilleur des mondes? La suractivité hystérique de nos gouvernants, l'image rassurante des hangars bourrés de caisse de Tamiflu, auront-ils le même effet lénifiant et régulateur que les injonctions ministérielles d'antan pour stopper le nuage de Tchernobyl à nos frontières? Comment ne pas penser qu’ils oeuvrent utilement au salut de la patrie, les braves gens ?
En France on a toujours goûté de ces rodomontades qui apaisent le bon peuple. En 1870, il ne manquait pas un bouton de guêtre, en 1940, la «poche était colmatée», alors que les fridolins étaient à Bordeaux. L’important en la matière, c’est de mettre de la conviction dans le propos.
En introit, l’émission donnait dans le catastrophisme ambiant. Un éminent virologue, à la mine funèbre et angoissée de circonstance, au teint fielleux de croque-mort en nervous breakdown, entonnait l’hymne mortifère d’une catastrophe annoncée, alertant l’opinion sur le péril des maladies respiratoires (notamment de la grippe), première cause de mortalité, loin devant les cancers et les pathologies cardiaques. On apprenait ainsi qu’au hit-parade de la gueuse, la pneumonie recevait le césar, sans contestation possible. A quand un pneumoniethon?
Et puis vers la fin, on concéda la parole à l’emmerdeur de service. Vous savez, ce genre de rombier qui, avec calme et autorité, vient vous «chier la baraque» que vous avez laborieusement édifiée.
Ce monsieur rappela qu’il ne s’agissait après tout que d’une grippe, que parmi les peurs éternelles de l’humanité, figurait celle des «grandes épidémies» et que peur et réalité étaient deux choses différentes.
On peut résumer sa conclusion par une question ô combien simple, ô combien évidente, mais ô combien troublante pour notre société: « - Mais de quoi voulez-vous qu’on meure, sachant qu’il faudra bien mourir?»
Et là est tout le problème.
Ce refus obstiné et pathétique d’accepter l’évidence de notre condition d’humains et de ses contingences.
Une canicule, quelques virus, une poignée de bactérie, et l’on déclenche le plan ORSEC. On ne se résout plus à l’inéluctabilité des lois de mère nature, à la fatalité d’un destin dont on veut ignorer qu’il n’est pas un long fleuve tranquille. On veut tout contrôler, tout maîtriser, pour écarter à tout prix cette angoisse existentielle qui accompagne l’homme depuis son aube (en tant qu’individu et en tant qu’espèce), celle de son incontournable mortalité.
Pour échapper à cette angoisse, qui est, rappelons le, consubstantielle de notre humanité, de notre fonctionnement psychique, sans laquelle nous ne serions pas humains, notre société est disposée à s’imposer des amputations et des sacrifices sans commune mesure, et au premier plan de ceux-ci, la mutilation du plaisir et de la volupté.
Il y a ce chiste du clampin qui va voir son toubib et lui demande comment faire pour vivre longtemps. Le chaman lui répond: «- Manger, mais très modérément, pas d’alcool, pas de graisse, viande ou poisson une fois par semaine, pas de foie gras, pas de confit (pourtant c’est pas gras le confit!), pas de sauces, pas de sucreries. Puis le sport attention! 2h de marche quotidienne soutenue, éviter les efforts violents. Le sexe, avec précaution: une séance hebdomadaire au plus avec bobonne (attention aux M.S.T.!), sans mignoteries épuisantes. La boisson? Eau minérale. Lever 6h. Coucher 22h. Pas d’émotions fortes. Air pur. Vie saine.». Vaguement inquiet, le gazier insiste: «- De cette manière, vivrai-je longtemps?». «- Sûrement répond le docteur, mais qu’est-ce que ce sera long!».
Nous vivons une société de la rassurance et de la sécurité: on ne boit plus, on ne fume plus, on ne baise plus, on roule lentement, on surveille sa ligne. Bientôt il faudra assurance, permis, diplôme, adhésion à une fédération, pour accomplir des taches aussi naturelles que de se baigner dans l’océan, faire de la montagne, de la voile ou grimper aux arbres. Des fois que…
On étouffe aussi et l’on s’ennuie ferme, mais qu’importe, les légumes aussi dans leur serre.
«- Tuer, c’est pas beau!» hébétait récemment Francis LALANNE lors d’un énième débat stérile sur la corrida, comme il eût pu de même ânonner: «- La mort, c’est pas beau!». Tout un programme!
Shiva («le bon», «le gentil») est dans l’hindouisme le Dieu de la destruction, et par là même celui de la régénération de la renaissance et la source créatrice. Il n’y a pas de vie sans mort.
Les anciens sous toutes les latitudes et depuis l’aube des temps jusqu’au début du glorieux vingtième ont vécu dans la proximité de la mort, dans un équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort, entre Eros et Thanatos.
La folie contemporaine, l’abandon des racines et des traditions nous conduit à une vision du monde pervertie et dangereuse.
C’est contre cette tendance que se célèbre un rite taurin marqué par un message actuellement subversif, en ce qu’il contrevient à la vulgate moderniste.
La corrida, n’en déplaise à ses défenseurs esthétisants, c’est surtout et avant tout la commémoration de l’histoire de l’homme et la célébration de son destin tragique. C’est la mise en scène ritualisée de l’objet principal de son existence: la mort et la conscience de sa propre fin. Car la conscience est d’abord le savoir de sa propre mort, qui permet le savoir de sa propre vie.
Laissons les insensés poursuivrent leurs chimères, c’est leur droit, même si c’est leur illusion.
Mais ne permettons pas qu’ils se mêlent de nous imposer leur folie, et n’autorisons pas non plus qu’on altère l’essence même de cette vérité.
La corrida est ésotérique et ne se dévoile réellement qu’au chercheur de vérité.
Xavier KLEIN
2 commentaires:
Particulier votre blog, Sylvain, tant dans le fond que dans la forme: succession de sentences et d'assertions, complexité de la terminologie.
Particulier mais décapant et sagace. J'aime assez.
Qu'est-ce qui vous a porté vers nos colonnes?
groïnk groïnkgroïnk, groÏÏÏÏnk, groÏnk groïnk ?
groïnk.
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