Humeurs taurines et éclectiques

mardi 10 mars 2009

MODERNITE?

«La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable.»
Charles BAUDELAIRE, "Le peintre de la vie moderne"


Dans un dernier éditorial (EQUIDISTANCE, http://www.terrestaurines.com/forum/actus/01-03-09/10-03-092.php), André VIARD évoque l’évolution de la corrida.
Le ton de l’article étant mesuré, il me paraît utile d’y répondre en argumentant posément plutôt que sur le ton de la polémique stérile et passionnée.
Il introduit dans son raisonnement et notamment dans ses présupposés de départ des expressions comme «l’évolution naturelle» («[…] un fossé semble se creuser entre la grande majorité du public qui se laisse porter par l'évolution naturelle du spectacle, et une minorité qui entend la nier.»)
Je qualifie régulièrement ce genre de considérations, sans consonnance péjorative, de lieu commun.
En effet, nous tendons tous, et pas seulement André VIARD, à user et à nous fonder sur des considérations dont nous pensons qu’elles sont d’une part vraies a priori, et d’autre part qu’elles sont communément admises. Nous tenons pour des faits ce qui ne procède que des croyances.
Ce faisant, et partant sur des bases que nous croyons absolues alors qu’elles ne sont que relatives voire à l’occasion erronées, nous induisons des conclusions qui le sont tout autant.
Ainsi je réfute catégoriquement cette notion d’évolution naturelle: aucune évolution ne saurait être naturelle dans ce domaine, elle est issue d’une volonté conjuguée du mundillo et de la presse.
D’ailleurs et très paradoxalement, André VIARD le confirme dans la suite de l’article: «Le Juli, bien sûr, est sur la piste, car contrairement encore à ce que l'on pourrait penser, en véritable patron, et ainsi que le fit Joselito à son époque, c'est lui qui oriente les choix dans bien des ganaderias.».
Mais reprenons les différentes étapes d’un article explicitement révélateur d’un certain courant (majoritaire) de la tauromachie et de l’analyse qu’on peut en faire.
Peut-être cela portera t-il André VIARD, non pas à renoncer à des options parfaitement respectables, mais à prendre en compte, sans les dénaturer ou les caricaturer, d’autres visions tout aussi respectables et valides, et surtout à entrer dans un vrai débat riche et productif plutôt que dans un vain affrontement.
«[…] une discussion passionnée s'est engagée entre plusieurs ganaderos sur le sens qu'il faut donner à la notion de caste et sur l'évolution qu'il faut rechercher si l'on veut, quand on l'élève, doter son toro des qualités exigées par la tauromachie moderne.». Faut-il rechercher une évolution, cher André? Et pour le coup, pourquoi ne pas laisser cette évolution se produire d’elle-même au lieu de vouloir à tout prix la rechercher, ce qui entre nous n’a rien d’une «évolution naturelle»?
En outre, et voilà où se situe l’un des nœuds du problème: pourquoi vouloir à tout prix créer l’uniformité d’une "tauromachie moderne" unique et péremptoire. Pourquoi ne pas admettre des expressions diverses, comme elles existent dans tous les courants artistiques ou culturels. Dali, Picasso, Chagall, Mondrian ou Warhol étaient contemporains, s’opposaient-ils tout en étant complètement différents dans leurs styles et leurs messages?
Enfin, je ne me souviens pas d'avoir jamais entendu "la tauromachie moderne" s'exprimer à ce sujet et exiger quelque qualité que ce soit. Par contre, les promoteurs de ce concept artificiel sont très volubiles.
«[…]on ne construit pas un élevage sur des "qualités" telles que l'innocence, la docilité ou l'imbécilité... du toro s'entend. Car le toreo moderne, avec ses exigences de continuité et de longue durée des faenas, impose au toro un effort qu'on ne lui demanda jamais tout au long de l'histoire.». Toute éleveur de toros sérieux, à ce que je sache, mais je dois reconnaître que je n’en connais pas autant, ni de si renommés qu’André VIARD, sélectionne son bétail sur des qualités escomptées: caractéristiques physiques (morphotype, mais aussi puissance, endurance, etc.), caractéristiques morales (bravoure, noblesse, caste, etc.).
Dans cet extrait, André VIARD mélange des qualités morales (l'innocence, la docilité ou l'imbécillité) et une exigence physique (fournir un effort prolongé qu'on ne lui demanda jamais tout au long de l'histoire dans le cadre d’une longue durée de faena). Personne ne s’oppose, à ma connaissance, à ce que certains éleveurs (l’immense majorité) travaillent dans ce sens et produisent ce type de toros. C’est leur affaire et celle du public qui ira voir leurs toros. En revanche, cela n’est nullement incompatible avec le fait que d’autres éleveurs explorent des pistes différentes, avec des critères différents, pour un public qui a d’autres attentes. Pourquoi vouloir à tout prix privilégier la norme d'UNE tauromachie moderne, au détriment de plusieurs modes de tauromachies diverses?
«[…] Contrairement à l'idée répandue, l'émergence du toreo a précédé et suscité la réelle bravoure, laquelle n'est autre que la quintessence de la sauvagerie originelle du toro.» La définition de la bravoure qu'introduit André VIARD lui appartient et correspond pleinement à l’argumentaire justificatif du toreo moderne, tel qu’il répond aux critiques qui lui sont formulées par ses détracteurs, et notamment l’affadissement.
En ce qui me concerne, je dissocie la bravoure qui est une notion de comportement, de la sauvagerie qui est une notion de caractère. Si l’on considère que la bravoure recouvre l’instinct offensif du toro, la sauvagerie représente un caractère plus général qui tient plutôt à sa manifestation plus ou moins violente et ordonnée. Les légionnaires de César étaient braves, disciplinés et ordonnés, les gaulois de Vercingétorix étaient braves, anarchiques et sauvages… Dans les deux cas la bravoure était indiscutable mais le résultat ne fut pas identique.
En fait, André VIARD, dans son désir éperdu de modernité procède à cette redéfinition terminologique et cette confusion contemporaine entre bravoure et noblesse, ce qui transparaît nettement dans son analyse historique. Ce qui bascule avec Belmonte et Joselito, c’est la valorisation de la noblesse par rapport à la bravoure, qui constituait le critère fondamental d’une tauromachie marquée jusque là par la prédominance du premier tercio.
Cette confusion est-elle innocente? On peut se le demander, et se questionner sur un argumentaire défensif qui se trouve confronté à un déni, celui de l’affadissement des toros modernes.
André VIARD fait souvent preuve d’une candeur désarmante en se livrant ingénument dans des mots qui ne trompent pas. «[…] un fossé semble se creuser entre la grande majorité du public qui se laisse porter par l'évolution naturelle du spectacle, et une minorité qui entend la nier. Ce qui est peine perdue d'avance, non sous l'effet d'une quelconque conspiration, mais tout simplement parce que la société évolue et que prétendre aller à son encontre ne mènerait à rien.». La grande majorité du public qui «se laisse porter»… Quel aveu! «Une minorité qui entend la nier» Quelle contre-vérité!
Non Monsieur André, personne ne la nie cette évolution. Ce qui est nié c’est sa «naturalité» (comme nous l’avons vu plus haut), son inéluctabilité (il n’y a pas d’autres options), et sa systématicité (doit-elle s’appliquer à la tauromachie dans sa globalité?).
André VIARD témoigne d’une vision linéaire et résignée de l’histoire. Une notion très en mode quand il était en culottes courtes, mais bien remise en cause depuis.
Or l’histoire n’est surtout pas une progression logique, régulière et continue vers un avenir meilleur. Au mieux, l’histoire est une succession de cycles, marqués par des ruptures, des déviations, des régressions. Dans les années 60, la prospérité des «30 glorieuses», la croyance au progrès technique et social laissaient-elles prévoir mai 68, la mondialisation ou la régression actuelle?
De même sa vision est résignée: on ne pourrait changer le destin ni une prétendue logique, là aussi naturelle, des évènements et de l'évolution. Avec André VIARD, il n’y aurait eu ni Révolution Française, ni Front Populaire, ni avancées sociales, c’est à dire des phases de refus de «l’évolution naturelle».
Enfin, qui parle de conspiration? Toutes les cartes sont sur la table, il suffit de décrypter le jeu de chacun. Et ce jeu est évident puisqu'il recouvre la convergence des intérêts, financiers entre autres, des divers protagonistes.
André VIARD préconise d’«influer dans la mesure du possible sur les choix qui se feront afin de contenir l'évolution dans les limites du raisonnable.». C’est à dire qu’il se résout à des choix faits par d’autres. On peut disposer de la faiblesse de croire que d’autres choix sont possibles et mobilisables.
On a le choix de se rendre à Pampelune ou Bilbao plutôt qu’à Séville, de privilégier Vic, Céret ou Parentis à Dax ou Nîmes. On a aussi le choix de ne pas vouloir choisir et de tout voir (c'est mon cas). Mais quel choix André VIARD soutient-il de facto, car lui aussi fait des choix? Qui et quoi valorise t-il? Qui et quoi critique t-il?
Ce n’est pas la seule illusion qu’André semble entretenir. Si l’on tient pour assuré que les gens en général, et les toreros en particulier, n’agissent pas innocemment et ne se résument pas à de purs esprits altruistes et désintéressés, mais comme tout un chacun voient d’abord leur intérêt bien compris, on ne peut que sourire en lisant: «[…] le risque est plus grand chaque jour de voir le toro réduit à l'état de comparse et le spectacle dévalué. Ce qui n'est le souhait de personne, et surtout pas des figuras qui tiennent le haut du pavé».
Comme vous et moi, la pente du genre humain –et les toreros n’échappent pas à la règle- est de réaliser, chacun dans son industrie, le plus de profits avec le minimum de risques. C’est humain et c’est recevable. Il n’y a que José Tomas pour l’assumer pleinement en limitant drastiquement le nombre de ses contrats, en contrepartie d’un engagement maximal et… d’une rétribution maximale également.
Quand l’on assure 80 contrats ou plus dans la saison, il ne s’agit plus uniquement de briller, il faut gérer, ménager et durer, tout accident entraînant des répercussions financières.
On assure donc l’extraordinaire sur quelques rares évènements clefs, puis on limite les risques sur «l’ordinaire» et le tout venant. On se remue à Madrid, Séville ou Valence, on se ménage à Logroño, Santander ou Alicante. Et pour ce faire, mieux vaut lidier des collaborateurs compréhensifs que des opposants intraitables. Tout le monde comprendra cela.
Ce dont nous parle André VIARD ne vaut que pour des situations exceptionnelles dans le cadre de stratégies programmées.
Qu’on se rassure, Morante ne prendra des Victorinos qu’à Séville, pour le reste…
Que demande t-on à un toro de combat? C’est là toute la problématique dont découle toutes les autres. Et l’on ne saurait y répondre par l’argument d’autorité, celui du nombre ou celui d’une détermination historique. La première réponse me paraît être de nature éthique: qu’est-ce qui peut justifier aujourd’hui la corrida?
En fait, tout est question de curseur. Où place t-on subjectivement le point d’équilibre? André VIARD répond: «dans quelques ganaderias […] celle du Marquis de Domecq bien sûr, […] mais aussi Torrealta (et donc Palha), Martelilla, Bañuelos, Nuñez del Cuvillo, Santiago Domecq... Mais aussi Santafé Marton et donc Camino de Santiago.»
Chacun de nous n’aurait sans doute pas cité les mêmes…
Sans «passer au campo une grande partie de l'année», sans «fréquenter assidûment un grand nombre de ganaderias très différentes les unes des autres», sans «bénéficier suffisamment de la confiance de ces ganaderos pour qu'ils évitent de me servir le discours convenu réservé à tant d'autres», sommes-nous pour autant moins…modernes?

Xavier KLEIN

1 commentaire:

vazquez a dit…

Le problème de terres taurines c'est que trop de monde boivent les paroles de viard comme du patxaran rafraichissant...il fait à côté de ça de très bonnes choses, il pose des questions mais son côté mégalo fait qu'il répond à certaines de façon hallucinante ; on se demande s'il désire que la corrida intègre existe pour ses petits enfants....j'ai du mal à le comprendre ; et d'autant plus, je reviens au début de mon message, c'est que trop de monde le lit comme un messie et se font endormir sans penser par eux-mêmes ; ses phrases pleines de mots qui sont la plupart du temps superflus hypnotisent trop de lecteurs assidus...allez andré, range ton égo et range toi du bon côté surtout