Dans les années 70, le paseo dans les couloirs de la fac de lettres à Pau prenait une coloration souvent exotique surtout en comparaison avec le conformisme qui tend à y régner maintenant.
Sur les panneaux d’affichage, entre les dazibaos de la Ligue Communiste Révolutionnaire, de la Brigade d’Intervention Prolétarienne et d’Occident Chrétien (on trouvait plutôt ces dernier coté fac de droit!) se réfugiaient parfois quelques informations à vocation plus ou moins universitaire.
Je serai bien en peine de repérer un cèpe sur un gazon anglais (d’ailleurs ces maudits s’échappent à mon approche!), en revanche certains mots, même imprimés en stricts et modestes caractères noirs sur fond de muraille, s’imposent toujours à mon subconscient erratique, comme les néons de Broadway transposés dans le jardin zen du Kennin-Ji à Kyoto.
Au milieu des affiches rouges de poings levés, de caricatures de C.R.S. en armure ou de patrons bedonnants, haut-de-formés et puro au bec, l’annonce des programmes de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, sise en Sorbonne, par son austérité laconienne, faisait figure de faire part mortuaire ou d’ordre de mobilisation générale.
Un certain Julian PITT-RIVERS, universitaire, ethnologue et néanmoins citoyen de Sa Très Gracieuse Majesté, dispensait une série de conférences sur le thème de la tauromachie, dans le temple du savoir gaulois. Bigre!
Sans grand espoir de réponse, j’entrepris de lui écrire, pour informations complémentaires sur le contenu de ses interventions.
Sans m’en douter, j’initiais de la sorte une correspondance qui dura plusieurs années, et un lien qui, pour n’être pas intime, fût empreint de chaleur et d’amitié.
Pur produit de l’Eton College et du Worcester College d’Oxford, Julian Alfred PITT-RIVERS se différencia précocement de ses congénères de la gentry grande-bretonne par l’anticonformisme, la finesse, l’intelligence et surtout l’hétérosexualité.
Descendant d’une lignée d’aristocrates, ses grands ancêtres furent les fameux William PITT, l’Ancien, 1er Comte de Chatham, Premier Ministre de Georges II, qui s’employa si utilement à nous débarrasser du Canada, et surtout l’Honorable William PITT, le Jeune, le plus jeune Premier Ministre qu’ait connu la perfide Albion qui mit un point d’honneur à contrecarrer les visions d’abord révolutionnaires puis napoléoniennes: des archétypes caricaturaux de l’ennemi héréditaire.
En fait, Julian PITT-RIVERS dut vraisemblablement sa vocation à son arrière grand-père le Lieutenant Général Augustus Henry Lane Fox PITT-RIVERS , ethnologue et archéologue de renom, et à son père, George Henry Lane Fox PITT-RIVERS, anthropologue.
Sa révolte contre ce père, interné pendant la deuxième guerre mondiale pour son soutien et son adhésion à la British Union of Fascists d’Oswald Mosley, mit un terme à deux siècles de francophobie familiale, et le prédisposa à un intérêt et une affection soutenus envers ce monde méditerranéen, souvent traité avec condescendance voire avec mépris par les élites d’outre-Manche.
Sur les panneaux d’affichage, entre les dazibaos de la Ligue Communiste Révolutionnaire, de la Brigade d’Intervention Prolétarienne et d’Occident Chrétien (on trouvait plutôt ces dernier coté fac de droit!) se réfugiaient parfois quelques informations à vocation plus ou moins universitaire.
Je serai bien en peine de repérer un cèpe sur un gazon anglais (d’ailleurs ces maudits s’échappent à mon approche!), en revanche certains mots, même imprimés en stricts et modestes caractères noirs sur fond de muraille, s’imposent toujours à mon subconscient erratique, comme les néons de Broadway transposés dans le jardin zen du Kennin-Ji à Kyoto.
Au milieu des affiches rouges de poings levés, de caricatures de C.R.S. en armure ou de patrons bedonnants, haut-de-formés et puro au bec, l’annonce des programmes de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, sise en Sorbonne, par son austérité laconienne, faisait figure de faire part mortuaire ou d’ordre de mobilisation générale.
Un certain Julian PITT-RIVERS, universitaire, ethnologue et néanmoins citoyen de Sa Très Gracieuse Majesté, dispensait une série de conférences sur le thème de la tauromachie, dans le temple du savoir gaulois. Bigre!
Sans grand espoir de réponse, j’entrepris de lui écrire, pour informations complémentaires sur le contenu de ses interventions.
Sans m’en douter, j’initiais de la sorte une correspondance qui dura plusieurs années, et un lien qui, pour n’être pas intime, fût empreint de chaleur et d’amitié.
Pur produit de l’Eton College et du Worcester College d’Oxford, Julian Alfred PITT-RIVERS se différencia précocement de ses congénères de la gentry grande-bretonne par l’anticonformisme, la finesse, l’intelligence et surtout l’hétérosexualité.
Descendant d’une lignée d’aristocrates, ses grands ancêtres furent les fameux William PITT, l’Ancien, 1er Comte de Chatham, Premier Ministre de Georges II, qui s’employa si utilement à nous débarrasser du Canada, et surtout l’Honorable William PITT, le Jeune, le plus jeune Premier Ministre qu’ait connu la perfide Albion qui mit un point d’honneur à contrecarrer les visions d’abord révolutionnaires puis napoléoniennes: des archétypes caricaturaux de l’ennemi héréditaire.
En fait, Julian PITT-RIVERS dut vraisemblablement sa vocation à son arrière grand-père le Lieutenant Général Augustus Henry Lane Fox PITT-RIVERS , ethnologue et archéologue de renom, et à son père, George Henry Lane Fox PITT-RIVERS, anthropologue.
Sa révolte contre ce père, interné pendant la deuxième guerre mondiale pour son soutien et son adhésion à la British Union of Fascists d’Oswald Mosley, mit un terme à deux siècles de francophobie familiale, et le prédisposa à un intérêt et une affection soutenus envers ce monde méditerranéen, souvent traité avec condescendance voire avec mépris par les élites d’outre-Manche.
Sir Julian bourlingua de l’Université de Berkeley aux confins du Chiapas, des pueblos andalous aux ports crétois, jusqu’à ce que Claude LEVI-STRAUSS l’invite à Paris.
Julian PITT-RIVERS usait en toute circonstance de cette distinction décontractée, de cet humour décalé et de cette prévenance qui sont le sceau des aristocrates de vieille souche et de verdad.
Quand nous nous rencontrâmes pour la première fois sur le quai d’Austerlitz, il ne fût guère malaisé de l’identifier dans la foule des pas perdus. Sa longue dégaine, ses yeux de porcelaine, sa tignasse chenue consciencieusement échevelée par le vent d’automne, le pantalon de flanelle et le veston de Harris tweed savamment élimés, comme il convient au bon goût qui se défie du clinquant, tout en lui traduisait le gentleman-farmer en exil parisien.
Il m’avait prévenu: «-Vous me reconnaîtrez: j’agiterai un journal» et de puntiller à l’anglaise: «-Vous dérangera t-il que ce soit le Sunday Times? Sa couleur rose sera plus visible». Cette coquetterie n’était rien plus que superfétatoire. Autant demander à un esquimau en anorak fourré de se fondre dans le décor d’un bivouac touareg.
Sir Julian, avec un naturel inimitable et une admirable bonhomie ne s’étonnait de rien et s’émerveillait de tout. En ethnologue inné, il faisait preuve d’une formidable capacité d’adaptation à l’environnement et d’effacement devant ses interlocuteurs, sujets de son étude.
Interpellé avec délicatesse par le ganadero, après la visite de feu l’impressionnant musée consacré à la vie et à l’oeuvre de Juan Carlos Pussacq à Pomarez: «-Toi, tu es un bon, mais tu vas quand même payer ta tournée!», et ayant constaté qu’il n’avait pas sur lui les moyens de financer l’opération, il rétorqua: «-Cher Monsieur, vous êtes sans doute un grand ganadero mais un piètre psychologue!». Ce qui, il faut l’avouer, convenait assez bien au cher Jean Charles, qui dut se faire laborieusement expliciter la saveur de la réplique.
En ethnologue de catégorie et en parfait gentleman, Sir Julian se gardait toujours d’émettre un avis ou d’imposer une opinion, «wait and see» la devise de Winston semblait taillée à ses mesures.
Avec l’air curieux, systématiquement étonné et toujours comblé des jeunes gens qui s’émerveillent des découvertes que chaque instant leur réserve, il promenait sa carcasse dégingandée et légèrement voûtée, dans les tendidos de Castelsarrazin ou le patio de caballo de Dax, en s’intéressant au moindre détail, en questionnant le plus humble protagoniste, comme si sa contribution pouvait faire vaciller des raisonnements assurés de longue date.
Le fond, la forme, la technique et la terminologie ethnologiques, ne sont pas facilement accessibles à la grande masse, c’est le moins qu’on puisse dire. Les conclusions en peuvent s’avérer désarmantes voire choquantes.
Pourquoi se serre t-on la main de la main droite ? Opine t-on en hochant la tête? Faisons-nous la moue ? Ou écrivons de droite à gauche ? Tous ces détails du quotidien, toutes ces manies, ces habitudes, ces rituels inconscients sont observés, décortiqués, analysés, interprétés par les ethnologues pour qui ils recèlent un sens.
Il va de soi que la corrida fourmille de ces gestes éminemment spécifiques, auxquels l’habitude et le conformisme nous désaccoutument d’accorder un regard ou une valeur particulière, mais qui pourtant recèlent des vérités cachées, que nous savons ou ne voulons pas avoir à connaître. Il faut donc accepter que celui qui exerce un regard entraîné à discerner les choses cachées, puisse perturber nos certitudes, bousculer nos convictions profondes. Tout le monde n’est pas prêt à l’accepter, tant les remises en cause et la peinture de ce que nous sommes et de ce que nous faisons en réalité diverge du regard rassurant que nous aimons à poser sur nous-mêmes.
Julian PITT-RIVERS vint à Dax pour nous parler du sens profond d’une passion dont nous croyions la pureté, la vérité, et la motivation des plus élevées et inaltérables.
Beaucoup déchantèrent et souvent pas ceux auxquels on pense. Les jugements pour la plupart allaient de «masturbations cérébrales» à «mais où va t-il chercher tout ça?» en couvrant toutes les nuances du déni, de l’indignation ou de la révolte.
Comme dans beaucoup de situations, ce sont les gens les plus simples -souvent les plus ouverts-, qui sortirent d’une conférence tumultueuse en se questionnant sur ce qu’ils avaient appris d’eux-mêmes de la bouche d’un chercheur de renom.
Mi-vexé, mi-contrit de la tempête ainsi déchaînée et de réactions que je pensais irrespectueuses envers un grand esprit qui nous offrait l’opportunité d’accéder à d’autres horizons, je m’en excusais auprès de Sir Julian, sur le quai de la gare.
Plongeant un regard azur subitement sérieux, il me confia: «- Vous n’avez à vous excuser de rien, et surtout pas d’une des plus magnifiques causeries que j’ai pu donner. J’ai rarement rencontré un public plus sincère, réactif et ouvert avec innocence à un discours objectivement traumatisant. Je reviendrai avec plaisir.».
Sir Julian n’est jamais revenu, nous avons continué à correspondre, je l’ai visité à Paris et dans sa «masure» de Dordogne (un manoir du XIIIème), mais de temps à autres, des amis m’interpellent pour me rappeler cette fameuse conférence qui avait tant fait gloser.
Julian PITT-RIVERS usait en toute circonstance de cette distinction décontractée, de cet humour décalé et de cette prévenance qui sont le sceau des aristocrates de vieille souche et de verdad.
Quand nous nous rencontrâmes pour la première fois sur le quai d’Austerlitz, il ne fût guère malaisé de l’identifier dans la foule des pas perdus. Sa longue dégaine, ses yeux de porcelaine, sa tignasse chenue consciencieusement échevelée par le vent d’automne, le pantalon de flanelle et le veston de Harris tweed savamment élimés, comme il convient au bon goût qui se défie du clinquant, tout en lui traduisait le gentleman-farmer en exil parisien.
Il m’avait prévenu: «-Vous me reconnaîtrez: j’agiterai un journal» et de puntiller à l’anglaise: «-Vous dérangera t-il que ce soit le Sunday Times? Sa couleur rose sera plus visible». Cette coquetterie n’était rien plus que superfétatoire. Autant demander à un esquimau en anorak fourré de se fondre dans le décor d’un bivouac touareg.
Sir Julian, avec un naturel inimitable et une admirable bonhomie ne s’étonnait de rien et s’émerveillait de tout. En ethnologue inné, il faisait preuve d’une formidable capacité d’adaptation à l’environnement et d’effacement devant ses interlocuteurs, sujets de son étude.
Interpellé avec délicatesse par le ganadero, après la visite de feu l’impressionnant musée consacré à la vie et à l’oeuvre de Juan Carlos Pussacq à Pomarez: «-Toi, tu es un bon, mais tu vas quand même payer ta tournée!», et ayant constaté qu’il n’avait pas sur lui les moyens de financer l’opération, il rétorqua: «-Cher Monsieur, vous êtes sans doute un grand ganadero mais un piètre psychologue!». Ce qui, il faut l’avouer, convenait assez bien au cher Jean Charles, qui dut se faire laborieusement expliciter la saveur de la réplique.
En ethnologue de catégorie et en parfait gentleman, Sir Julian se gardait toujours d’émettre un avis ou d’imposer une opinion, «wait and see» la devise de Winston semblait taillée à ses mesures.
Avec l’air curieux, systématiquement étonné et toujours comblé des jeunes gens qui s’émerveillent des découvertes que chaque instant leur réserve, il promenait sa carcasse dégingandée et légèrement voûtée, dans les tendidos de Castelsarrazin ou le patio de caballo de Dax, en s’intéressant au moindre détail, en questionnant le plus humble protagoniste, comme si sa contribution pouvait faire vaciller des raisonnements assurés de longue date.
Le fond, la forme, la technique et la terminologie ethnologiques, ne sont pas facilement accessibles à la grande masse, c’est le moins qu’on puisse dire. Les conclusions en peuvent s’avérer désarmantes voire choquantes.
Pourquoi se serre t-on la main de la main droite ? Opine t-on en hochant la tête? Faisons-nous la moue ? Ou écrivons de droite à gauche ? Tous ces détails du quotidien, toutes ces manies, ces habitudes, ces rituels inconscients sont observés, décortiqués, analysés, interprétés par les ethnologues pour qui ils recèlent un sens.
Il va de soi que la corrida fourmille de ces gestes éminemment spécifiques, auxquels l’habitude et le conformisme nous désaccoutument d’accorder un regard ou une valeur particulière, mais qui pourtant recèlent des vérités cachées, que nous savons ou ne voulons pas avoir à connaître. Il faut donc accepter que celui qui exerce un regard entraîné à discerner les choses cachées, puisse perturber nos certitudes, bousculer nos convictions profondes. Tout le monde n’est pas prêt à l’accepter, tant les remises en cause et la peinture de ce que nous sommes et de ce que nous faisons en réalité diverge du regard rassurant que nous aimons à poser sur nous-mêmes.
Julian PITT-RIVERS vint à Dax pour nous parler du sens profond d’une passion dont nous croyions la pureté, la vérité, et la motivation des plus élevées et inaltérables.
Beaucoup déchantèrent et souvent pas ceux auxquels on pense. Les jugements pour la plupart allaient de «masturbations cérébrales» à «mais où va t-il chercher tout ça?» en couvrant toutes les nuances du déni, de l’indignation ou de la révolte.
Comme dans beaucoup de situations, ce sont les gens les plus simples -souvent les plus ouverts-, qui sortirent d’une conférence tumultueuse en se questionnant sur ce qu’ils avaient appris d’eux-mêmes de la bouche d’un chercheur de renom.
Mi-vexé, mi-contrit de la tempête ainsi déchaînée et de réactions que je pensais irrespectueuses envers un grand esprit qui nous offrait l’opportunité d’accéder à d’autres horizons, je m’en excusais auprès de Sir Julian, sur le quai de la gare.
Plongeant un regard azur subitement sérieux, il me confia: «- Vous n’avez à vous excuser de rien, et surtout pas d’une des plus magnifiques causeries que j’ai pu donner. J’ai rarement rencontré un public plus sincère, réactif et ouvert avec innocence à un discours objectivement traumatisant. Je reviendrai avec plaisir.».
Sir Julian n’est jamais revenu, nous avons continué à correspondre, je l’ai visité à Paris et dans sa «masure» de Dordogne (un manoir du XIIIème), mais de temps à autres, des amis m’interpellent pour me rappeler cette fameuse conférence qui avait tant fait gloser.
Xavier KLEIN
Dans un prochain article, j’essaierai de résumer les thèses travaillées et exposées par Julian PITT-RIVERS
Dans un prochain article, j’essaierai de résumer les thèses travaillées et exposées par Julian PITT-RIVERS
3 commentaires:
Vite le tome 2 de JPR !
Xavier,
Finalement, l'hiver c'est super! On a le temps de parler de tout, même de torors... mais différemment. Quel superbe témoignage. Alors, comme a dit Marc, vivement la suite!... Au fait, ce cher anglais a-t-il publié sur le sujet?
Bien à toi - Bernard
PS : l'anecdote bordelaise vineuse rapporte que l'ancêtre de ton Julian, Premier Ministre versus notre Révolution et notre Napoléon - et nonobstant grand amateur de Bordeaux, en faisait tout de même acheter... sous un faux nom!
Sortir d’une conférence (ou d'une quelconque rencontre) et s’interroger de ce que l’on apprend de soi-même… c’est ainsi que l’on chemine, ce n’est pas facile de l'accepter, pourtant...
Lionel
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