Humeurs taurines et éclectiques

mercredi 2 novembre 2011

Crepúsculo português

 Nuno Miguel Vicente CASQUINHA court vers ses 26 printemps.
Ses yeux rieurs reflètent les ondes océanes qui depuis Lisbonne où il naquit menèrent ses glorieux ancêtres à l'assaut des nouveaux mondes. Peut être l'héritage de ses aïeux celtes ou suèves qui peuplèrent la Lusitanie, après que les phéniciens s'y soient établis et qu'Ulysse paraît-il fondât Olissipo, le nom antique de l'antique capitale.

Photo de  P. Batalha et João Dinis
Nuno est charmant, ma femme et ma fille me l'assurent.
Il est aussi aimable, modeste et courtois.
Il est enfin et surtout torero.

Un drôle de boulot, torero, surtout lorsque l'on est torero portugais.
Bien sûr, il y a les grands anciens: Dos Santos, Falcon et plus récemment Mendes, le Victoooooor de ces dames. Certes il y a par ces lieux pléthore de bestioles à cornes, de celles qu'on ne peut ignorer lorsqu'on les croise, au détour du campo ou d'une arène.
Mais tout de même, pas commode d'être torero portugais dans un pays où l'on fréquente les touros soit à cheval, soit dans l'intimité corporelle des forcados à laquelle le plus vil andalou ne saurait consentir.
Pas commode non plus et terriblement frustrant, de ne pouvoir couronner une faena par l'estocade, interdite en 1928 par une loi de la junte militaire d'où devait émerger la dictature d'António de Oliveira Salazar.

Nuno court après ses 26 ans, Nuno court après ses rêves comme les chevaucheurs de tempêtes qui avaient noms Magellan ou Vasco de Gama, et Nuno court la campagne pour affronter les touros.
Ce jour de novembre où l'automne déployait ses fastes mordorés dans les ultimes caresses du thermomètre, Nuno nous avait convié à le voir toréer.
Après ¾ d'heure de pérégrination à travers le Ribatejo, nous parvînmes dans une placita de banlieue, sise à une belle finca XVIIIème où quelques passionnés et supporters s'étaient donnés rendez-vous.

Je le répète, un drôle de boulot torero, surtout quand à l'heure où la lumière s'emplit de poussière d'or et où d'aucuns s'attablent à l'apéro, on croise volontairement la course d'un monstre de 600 kgs.
Du Murube qu'ils disaient! Tu parles!
Plutôt de l'aurochs pur sucre avec tous les accessoires en option, hormis les cornes fraîchement épointées. Le monstre s'avérait bougon, d'humeur récalcitrante. Le mot caste n'était dans son cas qu'une vision de l'esprit parfaitement psychédélique.
Pourtant cette étrange fièvre chronique qu'on appelle afición, poussait un homme jeune, beau et joyeux, à risquer sa précieuse vie gracieusement et sans recours.
Ni puissante empresa, ni rat de callejon, ni journaliste influent, ni belle à séduire aux alentours, pas plus que de médecin ou d'ambulance en cas de mauvais sort, une éventualité statistiquement très probable étant donné l'engin à affronter...
Juste quelques copains et amis qui s'associent à sa chimère, qui marchent sur les pas éthérés de ses songes.

L'inquiétude me saisissait et me poussait à observer à la ronde si elle était quelque peu partagée.
Nullement!
Dans une ambiance bucolique, chacun vaquait, quand d'autres «vachaient».
Indifférent aux affres du ruedo, mon voisin, le tee-shirt ensanglanté et l'âme rigolarde s'employait à déguster les noix qu'un gamin perché dans l'arbre cueillait et envoyait à un troisième luron qui les brisait consciencieusement dans un vacarme lancinant qui rythmait les suertes.
Le fauve jaillit et prit les piques sans classe et sans entrain. Il en conçut sans doute quelque amertume puisqu'il ne s'intéressa qu'avec beaucoup de réserve à la suite de l'opération. Nuno s'évertua et s'échina à lui tirer les quelques passes poussives qu'il voulut bien consentir, comme par courtoisie.
A l'issue des débats, quand paré de sueur, de poussière et de sang, Nuno me parla de nouveau, il avait perdu de sa grâce enfantine. Ses traits s'étaient creusés et durcis; ils avaient hérité du leg de l'épreuve, comme ses hommes qui sous les balles, les obus ou les bombes vieillissent prématurément ou dont la chevelure blanchit en une nuit.
En retournant à Lisbonne, je songeais à l'injustice du monde, à l'afición de Nuno qui se jouait la vie pour des passes sans conséquences et sans issues.
Je souffrais son espérance et le refus d'abdiquer la part la plus glorieuse de l'Homme, l'essence de l'esprit de vie: le refus du renoncement et la rage de lutter et de se tenir debout.
Et puis, loin de tout cela, loin de cette passion et de ce pundonor si généreusement et gratuitement  prodigué, loin de l'oligarchie des confortables, des nantis du mundillo, des 
«ensystémisés», des timbales d'argent des tientas de luxe, des blousons dorés des ruedos. Ceux qui boudent et gâchent des novillos de loukoum ou des toros de luxe parce que tout leur est donné et que l'abondance rend gaspilleur.
Et puis, avec la nuit qui voilait l'horizon des toits de Lisbonne, me vint l'idée réconfortante que tant qu'il y aurait des Nunos, la corrida méritait de se perpétuer...
Xavier KLEIN


1 commentaire:

el Chulo a dit…

toujours optimiste mon javierin!