Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 29 septembre 2011

Salomon est juif!


Au crétin anonyme qui m'a collé un «juden raus» dans la boite aux lettres

Connaissiez-vous Salomon?
Saviez-vous que Salomon était juif?

De cette brillante élite intellectuelle du judaïsme ashkénaze qui, de Sigmund Freud à Albert Einstein, a tant contribué au progrès des sciences et de la pensée humaine.
Salomon REINACH et ses deux frères (Joseph et Théodore), tellement savants, érudits et brillants que les chansonniers de la Belle Epoque les brocardaient à partir de leurs 3 initiales (J,S,T) en les surnommant «les frères Je-Sais-Tout».

Elève de l’Ecole Normale Supérieur et de l’Ecole d’Athènes, Salomon publie une bonne dizaine d'années avant le «Totem et tabou» de Sigmund FREUD (1913), «Totems et tabous», un texte pénétrant d’anthropologie mythique, dont le viennois s’inspirera sans vergogne.
En fait, esprit universel et … polyglotte, Salomon introduit en France les avancées de l’Ecole de Cambridge et notamment de William Robertson Smith sur l’étude des origines des religions.

En quoi Salomon, les totems, les tabous, les cultes, mythes, mites et religions peuvent-ils intéresser les torophiles de base, ô public chéri mon amour?
Tout simplement en vous dévoilant que notre cruauté, notre barbarie proverbiales procèdent des ressorts les plus antiques, d’une troublante universalité des plus archaïques.

Dans un passé maintenant lointain, j’avais travaillé sur les études de Reinach et notamment l’une d’elles qui portait sur les Bouphonies (Βουφόνια), ces fêtes dipoliennes qui se tenaient dans l’Athènes antique au mois de scirophorion (juin).
On faisait tourner des taureaux (ou des bœufs selon les sources) autour d’un autel où étaient disposés des gâteaux sacrés. On se ruait sur le premier qui s’avisait d’en boulotter, on l’abattait, le dépeçait et on le dévorait lors d’un banquet.
On reconstituait le bœuf en bourrant sa dépouille de paille pour l’exposer publiquement.

Mais le plus étrange n’est pas là!
Le prêtre, «bouphonos» (βουφόνος) qui l’avait sacrifié était poursuivi, contraint à s’exiler (provisoirement) hors des limites de la ville.
Après un procès tenu au Prytanée, on accusait successivement les vierges qui portaient l’eau pour affûter la hache, puis l’affûteur, puis celui qui l’avait porté, puis celui qui l’avait touché, etc., pour terminer par l’exécuteur.
Pour finir, le tribunal concluait à la culpabilité de … la hache qui en grande pompe était précipitée dans la mer.
Ce rite a donné lieu à de multiples interprétations, notamment à la thèse de l’exorcisme d’une culpabilité collective. A ce titre, on peut le rapprocher du rite judaïque du bouc émissaire, chargé des péchés de la communauté et envoyé périr dans le désert.

Si comme moi, vous vous attachez à comprendre l’histoire et la signification des œuvres des Hommes, la lecture de Salomon, très pédagogique et claire ne pourra que vous ravir. En dépit d’un siècle d’existence, beaucoup de ses analyses et de ses interprétations demeurent toujours vraies.

On notera avec quelque délice que le mot bouphonos (βουφόνος: sacrificateur, frappeur de bœufs) est indirectement à l’origine du terme «bouffon».
Si un sauvageon ou un indigène de la république vous apostrophe: «Hé, bouffon!», ne vous en offusquez pas, IL A MILLE FOIS RAISON! Comme Monsieur Jourdain, il fait de l'anthropologie sans le savoir.
Nous appartenons à la caste sacerdotale des «sacrificateurs de toros».
Si en outre, il outrecuide en vous traitant de fils de pute, IL A EGALEMENT RAISON, l'insulte en tant que rituel primitif et magique pour détruire la force vitale de l'adversaire, remonte aux origines de l'humanité.
Si en plus, il se déculotte et vous présente son arrière-train, pâmez-vous, c'est vraiment un érudit, puisqu'il réédite l'une des plus antiques pratiques, vous incitant à la sodomie pour préserver le patrimoine génétique du cheptel féminin de son clan. Au risque de la consanguinité et de l'inceste, le con!
En fait la susceptibilité est trop souvent affaire d'ignorance...

Salomon REINACH, contemporain d'Alfred Dreyfus, a bien été forcé de se rendre compte qu'il était juif.
On s'est ardemment chargé de lui faire savoir.
Ses mérites, son immense savoir, ses superbes intuitions scientifiques, la lumière de la connaissance qu'il a contribué à porter dans son siècle à ses frères humains, tout cela ne l'a pas empêché d'être marqué au fer de la souillure antisémite.
Oui, Salomon est juif...
Et alors!
Xavier KLEIN

A lire:
«Cultes, mythes et religions», 1905 réédité dans la collection Bouquins
«Orpheus», 1909

Et puis zut! J'peux pas résister plus longtemps:


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Monsieur Klein,
J'ai déjà eu l'occasion de lire vos commentaires et je les apprécie enormément. J'aime votre plume et votre humour parfois, mais je trouve la transcription de vos sentiments tellement proches des miens (référence à l'article paru il y a quelques temps sur Morante, je le lis et le relie souvent).
Je ne sais pas si vous êtes juif, moi je le suis et je suis contente que vous puissiez véhiculer des informations probablement inconnues du grand public, notamment sur Salomon Reinach (qui c'est ceui là ...). Je ne suis pas sectaire ni restrictive, mais j'aime que l'on rappelle ce que sont certains juifs, surtout à ceux qui ont l'outrecuidance de vous dire jude raus.
J'attends toujours avec beaucoup d'impatience vos articles. Donc au
prochain et merci mille fois de nous faire partager vos sentiments.

Xavier KLEIN a dit…

JE NE SUIS PAS JUIF.
Mais quand je rencontre l'antisémitisme, je le DEVIENS, par solidarité.
Ayant passé toute mon enfance à me faire traiter de «youpin», je sais ce que l'antisémitisme veut dire, et quel effet cela fait à celui qui le reçoit.

L'antisémitisme est à distinguer du racisme «ordinaire» en ce que la cible procède «du même». Physiquement, on ne peut différencier un juif d’un autre citoyen «de souche».

A l’extrême, on peut arriver à comprendre (je n'ai bien sûr pas dit admettre) le mécanisme psychique que le «différent», l’«hétéroï»: le «noir», le «jaune», le maghrébin, celui qui «n'est pas comme nous» provoque chez certains. Les fantasmes, les peurs nées de l’ignorance sont sinon acceptables, du moins compréhensibles.
Cette phobie de l’altérité, sentiment très archaïque, ne s’explique en rien pour le «juif», qui procède «du même», de l’«homoï». Surtout dans des temps où «être juif», qui n’a on le sait jamais relevé d’une race (un concept absurde), ne procède même plus d’une religion et même d’une culture communautaire.
On est désigné comme juif, même si rien dans votre physique, dans vos mœurs, dans vos croyances, ne vous différencie des autres.
En cela, l’antisémitisme est encore plus irrationnel.

Comme était également complètement irrationnelle cette proscription de la caste de parias constituée dans le sud par les «cagots». Un sujet dont je pourrai un jour parler si cela intéresse.

Le racisme et l’antisémitisme sont des ABOMINATIONS, les pires constructions mentales que la perversité humaine aient jamais engendrées.

Bernard a dit…

Mon cher Xavier,

Merci pour ce texte.
De l'antisémitisme, Mauriac disait - de mémoire - qu'il est une "maladie dont on ne guérit jamais tout à fait" - de là qu'il faut demeurer en permanence vigilant quant à sa toujours possible survenue... Mais peut-être, cette irréductible tentation résulte-t-elle aussi de ce que le "peuple juif" - s'assumant comme "peuple élu" d'un seul Dieu - a de fait introduit, du moins dans le discours, une altérité tout aussi irréductible, celle du "et" exclusif: le juif "et" le non juif, le ciel "et" la terre, l'homme "et" la nature, l'homme "et" la femme, l'homme "et" l'animal... repris par les évangéliques "qui n'est pas avec moi est contre moi", ou "vous serez un signe de contradiction dans le monde" (à ce propos, il est d'ailleurs tout à fait vrai - et davantage encore assumé - que nous autres ayatollahs voire talibans du "mundillo" soyons considérés par certains comme des "signes de contradiction"...)

Olé! (qui, d'après Federico Garcia Lorca, viendrait de Allah!)

Bernard