Humeurs taurines et éclectiques

samedi 14 mai 2011

DUENDE: la subversion de l'émotion

«C’est avec le duende que l’on se bat vraiment.»

L'ami Pierre, toujours en vadrouille sur le net me transmet cette petite perle.


On se demande si le barbu a été indulté!

Cet envoi tombait bien.
Il y a peu, flânant dans le Vieux Bordeaux, je dénichai un signe des temps et sa «revanche».
Bien que convolant depuis un quart de siècle, j’ai conservé quelques manies de vieux célibataire. Entre autres une certaine fidélité (non conjugale) à des maisons d’honorable fréquentation.
Ainsi, je profitai de la proximité pour pousser jusqu’à la «Machine à lire», une librairie de la plaçotte du Parlement, certes un peu trop modernisée à mon goût, mais qui offrait encore quelque choix.

Après avoir distraitement parcouru mes sitios habituels, ne le retrouvant pas, je m’enquis des coordonnées GPS du rayon tauromachique, autrefois bien pourvu.
Le regard quasi réprobateur de la caissière, trônant telle une tôlière de claque à l’entrée du petit salon rose eût dû m’alerter: «Monsieur, je ne sais pas! Demandez en rayon».
Ayant déniché une boutonneuse binoclarde et «uniformée» de la livrée locale, je retentai l’aventure.

Ma douée, quel regard!
J’aurais réclamé les «Onze mille verges» à soeur Zénobie, bibliothécaire du couvent Sainte Gertrude qu’il n’eût pas été plus noir ni plus réprobateur!
Un truc entre la moue dégouttée de celui (ou celle) qui considère sa semelle qui vient de piétiner un étron baladeur, le mépris du procureur psychorigide confronté à un pédophile multirécidiviste ou la fureur de Jean Marie qui vient de s’apercevoir que Marine vient d’accoucher d’un négrillon.
Et de rajouter fielleusement un truc du genre: «Nous ne faisons plus ce genre d’article.»

Oh putaingue de putaingue! Pute borgne (ou vierge selon les goûts)! Bordel de Dieu …! Quand l’on commence aussi à s’en prendre aux livres, quand l’énoncé même de l’idée passe pour une obscénité, on n’est pas loin de l’ordre moral et il est temps d'envisager le maquis où la retraite cénobitique loin des inquisiteurs en formation.

Ce n’était pas tant l’annonce que le ton qui l’accompagnait, teinté du soupçon jubilatoire des bien pensants quand ils parviennent à baiser les asociaux. Vous savez, l’anti-fumeur patenté, frétillant d’agrafer le nicotinophile abhorré. Cette violence et ce sadisme si soigneusement et hypocritement dissimulés qui se dévoilent soudainement.

Bien qu’étant un salopard de pervers tauromache, je résistai toutefois à la furieuse envie de qualifier la péronnelle d’attributs charmants, à base de «pétasse», «grognasse» et autres civilités, agrémentées de qualificatifs tout aussi poétiques. J'en connais certains qui eussent sans doute failli (n'est-ce pas Gastounet?).
Très british, je lui jetai tout de même d’un ton détaché: «Quand fût célébré le dernier autodafé?».
Elle ne sembla pas comprendre: inculture basique sans doute!
Je m’apprêtais à m’arracher fissa de cet antre de la connerie humaine quand tel Paul de Tarse sur le chemin de Damas, une vision salvatrice vint me tirer des idées noires et assassines qui m’envahissaient.
***
Il était là, à la fois offert et discret et me lorgnait, un brin moqueur, avec ce zeste d’ironie décalée, ou plutôt de provocation affectueuse qu’il dût emprunter lorsqu’on le conduisit à sa dernière pinède.
Son image jaillissait des piles d’écrits à la mode, de titres empruntés, de cette masse de papier imprimé, comme l’icône qui luit dans la pénombre encensée des tabernacles.
Federico, l’ange noir, le martyr inutile, l’injure à l’inhumanité et le cri vengeur jeté à la bêtise éternelle venait à mon secours, par la simple grâce d’un modeste opuscule échappé aux censeurs.
Un petit bouquin d’une paume de large, épais comme une ardoise d’écolier, titrant ses 3 euros.
«Jeu et théorie du duende» (2010, éditions Allia), texte bilingue d’une conférence donnée en 1933 à Montevideo. Un texte puissant, pénétrant et inspiré, ramassé comme un guépard qui va fondre sur l'antilope. Des mots qui coulent comme naturelles de Rafaël ou claquent comme talons sur tablaos. Un long cri de prophète rauque qui éructe soyeusement à la face racornie de l’asepsie contemporaine.
Si vous voulez savoir le secret des extases de Sainte Thérèse, les mésaventures de Pastora Pavón, «La Niña de los Peines» , où la geste d’Elvira la Caliente, putain aristocrate de Séville, «qui n’avait pas voulu se marier avec un Rothschild parce qu’il n’était pas à la hauteur de son sang» OUVREZ CE LIVRE SURVIVANT. Conservez le religieusement, précieusement, lorsqu'il aura été mis à l'index pour cause d'immoralité ou de pornographie taurine.
Si vous voulez découvrir les arcanes secrets qui lient l’ange, la muse et le duende, plongez vous dans ces mots de feu qui calcinent ou subliment, au choix, les illusions humaines: «En revanche le duende ne vient pas s’il ne voit pas de possibilité de mort, s’il n’est pas sûr qu’elle va rôder autour de la maison, s’il n’est pas certain qu’elle va secouer ces branches que nous portons tous et que l’on ne peut pas, que l’on ne pourra jamais consoler.»
Horreur! Parlerait-on de mort?

Et cette réalité profonde du poète, cette ultime vérité qui condamne les modernes béotiens, la barbarie contemporaine qui se croit tellement exemplaire: «C’est un peu comme si tout le duende du monde classique s’entassait dans cette fête parfaite [la corrida], preuve de la culture et de la grande sensibilité d’un peuple qui découvre en l’homme ses meilleures colères, ses meilleures biles et ses meilleures larmes.
Dans un spectacle de danse espagnole, pas plus qu’à la corrida, personne ne s’amuse; le duende se charge de faire souffrir, par le biais du drame sur des formes vivantes, et il prépare des échelles pour que l’on s’évade de la réalité environnante.»
Horreur! Parlerait-on de souffrance et de drame?

Heureux Lorca! Heureusement disparu dans la poussière rouge des fosses communes de Viznar avant d'avoir connu les errements, les reniements de l'Espagne moderne à laquelle il aspirait!
Ces cons ne pourront jamais déterrer tes os pour les brûler, pour salir tes mots de satin et d’amertume.

«El duende… ¿Dónde está el duende? Por el arco vacío entra un aire mental que sopla con insistencia sobre las cabezas de los muertos, en busca de nuevos paisajes y acentos ignorados; un aire con olor de saliva de niño, de hierba machacada y velo de medusa, que anuncia el constante bautizo de la cosas recién creadas.»

«Et le duende… Où est le duende? A travers l’arche vide, passe un vent de l’esprit qui souffle avec insistance sur la tête des morts, à la recherche de nouveaux paysages et d’accents ignorés; un vent qui sent la salive d’enfants, l’herbe écrasée et le voile de méduse, qui annonce le baptême permanent des choses fraîchement crées.»

Le duende, l'arme ultime contre la connerie, indétectable car inconcevable par les trouducs et les vendeuses boutonneuses.
Il n'y avait que le Prince des Poètes pour inventer celà...
Xavier KLEIN

Et puis, je ne sais pourquoi, j'ai envie de conclure sur cette photo là:

5 commentaires:

Ludovic Pautier a dit…

Arsa y Toma ! Don Xavier.
"la machine" a changé de proprio en 2008, hélène des ligneries en est la nouvelle duègne. son frère françois fait du bon vin, est un excellent compagnon de table( "l'envers du décor" à saint-émilion, c'est lui, les turpitudes du monde du pinard il les conte mieux que quiconque )et pesterait sûrement devant ce fourvoiement.Quant à l'ancien daron, Henri Martin, il accueillit au sein de la librairie des auteurs taurosophes qui auraient toréé ces mégères avec brio comme tu le fis.que asco me dan.
un abrazo.

ludo

el chulo a dit…

j'ai découvert cette conférence qui a subi de nombreuses interprétations, y compris par un psychnaliste bordelais d'origine espagnole.
deux choses à ce sujet: on oublie trop souvent que lorca avait fait des études très sérieuses de philisophie, comme wolff!!!
ce teste très ardu et ses interprétations ont en leur temps radicalement changé ma perception de la corrida. avant j'étais plutôt consommateur "festif" depuis je suis beaucoup plus exigeant sur la qualité de "l'émotion", et ces conditions si complexes et rares pour que l'art apparaisse, "ce morpion de duende". d'où aussi ma réticence envers ces artistes autoproclamés, prétentieux, incultes, cupides et vulgaires.

Anonyme a dit…

Quand je vais chez Domingo, cours Victo Hugo, voir une corrida je fais toujours une halte au quai des livres un peu plus haut, il y a un petit rayon sur les toros. Des prix minis minis avec un choix certes limité et récent mais régulièrement renouvelé.

JPc

velonero a dit…

Et puis il y a la librairie Mollat, incontournable, avec un rayon taurin très bien achalandé.

Xavier KLEIN a dit…

Certes Velonero, mais je déménageai mon étudiante de fille dans la rue à coté.
Pas trop le temps de flâner avec la bagnole mal garée dans une rue piétonne.