Depuis la Renaissance et l’explosion extraordinaire des courants et modes d’expression artistiques, on constate que le système d’écoles, lorsqu’il a existé, a toujours abouti à des impasses et à la production d’un art officiel, conventionnel et académique, et en résumé à la sclérose.
Tout au contraire TOUTES LES AVANCEES CREATIVES, TOUS LES PROGRES ont été le résultat d’une remise en cause des normes et valeurs précédentes.
Et ce mouvement n’a fait que s’amplifier au fur et à mesure que l’individu prenait de l’importance par rapport au groupe, ce qui imprègne notre modernité.
On notera avec délice que le mot latin schola (école) provient du grec σχολή (scholê) qui signifie… oisiveté, temps libre, inactivité. L’étude étant considérée comme un divertissement, un loisir éloigné des contingences matérielles et productives. Un terme à rapprocher du vieux français desport qui a donné sport (en passant par la Perfide Albion). Se desporter était originellement se divertir par un plaisir physique ou de l’esprit.
A la fin de la période médiévale, âge d’or de la scolastique (un mot qui vient d’ «école») un peintre ou un musicien ne pouvait se former qu’en passant par un système d’école, un enseignement dispensé par un Maître (avec un grand M). Un système qui n’avait rien à voir avec l’énorme usine à gaz moderne. En fait il n’y avait pas l’Ecole, mais une multitude d’écoles très différenciées et aucunement normalisées.
L’apprentissage s’opérait par un parcours qui exigeait souvent de l’élève qu’il pérégrine entre plusieurs maîtres, qui chacun à sa manière lui transmettait son savoir. Le savoir ainsi constitué était multiforme, pluriel et s’enrichissait d’expériences multiples et de pratiques différenciées.
Ce mode de transmission a en partie survécu en occident à travers le compagnonnage et le Tour de France des apprentis qui suivent l’apprentissage de plusieurs maîtres, apprennent des techniques différentes, et la variété des solutions pour résoudre un problème.
Il survit aussi dans certaines sociétés qui ont su concilier tradition et modernité. J’ai souvent évoqué ici –et ce n’est pas un hasard- le mode d’apprentissage des arts martiaux au Japon. J’aurais pu tout autant évoquer l’ensemble des arts et techniques traditionnels de ce pays. Qu’il s’agisse de l’art de servir le thé, de faire des bouquets, de chanter, de danser, de forger les lames ou de la poterie raïku, tout passe par un système d’écoles.
Sauf que nos amis nippons ont su trouver les adaptations pour éviter le travers de l’académisme, du conventionnel ou du train-train. Les écoles (ou ryus) dispensent des enseignements héritiers de la tradition et du perfectionnement réalisé sur plusieurs générations. Ces enseignements diffèrent selon l’école. Les élèves ou disciples cheminent d’école en école, de dojo en dojo, en intégrant les techniques et la philosophie de chacune. De temps à autre émerge un «réformateur» qui remet tout ou partie en cause, permettant au système d’évoluer sans se scléroser.
Ce dispositif s’étaye sur des bases techniques et des fondamentaux solides, tout en autorisant l’adaptation et la novation. C’est d’ailleurs le secret de la puissance de l’économie et de l’industrie japonaises: allier tradition et innovation.
Dernier point, ce mode de formation et de transmission s’appuie non pas sur une pédagogie de groupe, mais sur une relation maître-élève complètement personnalisée. Le même maître abordera ses quelques élèves de manières différentes selon leurs besoins, leurs personnalités, leurs aptitudes. En outre le Maître jouit d’une autorité technique ET morale absolues. Il n’est pas systématiquement le meilleur, le plus virtuose, le plus talentueux, il est celui qui comprend la psychologie de l’apprenant, qui sait comment transmettre.
Tout au contraire TOUTES LES AVANCEES CREATIVES, TOUS LES PROGRES ont été le résultat d’une remise en cause des normes et valeurs précédentes.
Et ce mouvement n’a fait que s’amplifier au fur et à mesure que l’individu prenait de l’importance par rapport au groupe, ce qui imprègne notre modernité.
On notera avec délice que le mot latin schola (école) provient du grec σχολή (scholê) qui signifie… oisiveté, temps libre, inactivité. L’étude étant considérée comme un divertissement, un loisir éloigné des contingences matérielles et productives. Un terme à rapprocher du vieux français desport qui a donné sport (en passant par la Perfide Albion). Se desporter était originellement se divertir par un plaisir physique ou de l’esprit.
A la fin de la période médiévale, âge d’or de la scolastique (un mot qui vient d’ «école») un peintre ou un musicien ne pouvait se former qu’en passant par un système d’école, un enseignement dispensé par un Maître (avec un grand M). Un système qui n’avait rien à voir avec l’énorme usine à gaz moderne. En fait il n’y avait pas l’Ecole, mais une multitude d’écoles très différenciées et aucunement normalisées.
L’apprentissage s’opérait par un parcours qui exigeait souvent de l’élève qu’il pérégrine entre plusieurs maîtres, qui chacun à sa manière lui transmettait son savoir. Le savoir ainsi constitué était multiforme, pluriel et s’enrichissait d’expériences multiples et de pratiques différenciées.
Ce mode de transmission a en partie survécu en occident à travers le compagnonnage et le Tour de France des apprentis qui suivent l’apprentissage de plusieurs maîtres, apprennent des techniques différentes, et la variété des solutions pour résoudre un problème.
Il survit aussi dans certaines sociétés qui ont su concilier tradition et modernité. J’ai souvent évoqué ici –et ce n’est pas un hasard- le mode d’apprentissage des arts martiaux au Japon. J’aurais pu tout autant évoquer l’ensemble des arts et techniques traditionnels de ce pays. Qu’il s’agisse de l’art de servir le thé, de faire des bouquets, de chanter, de danser, de forger les lames ou de la poterie raïku, tout passe par un système d’écoles.
Sauf que nos amis nippons ont su trouver les adaptations pour éviter le travers de l’académisme, du conventionnel ou du train-train. Les écoles (ou ryus) dispensent des enseignements héritiers de la tradition et du perfectionnement réalisé sur plusieurs générations. Ces enseignements diffèrent selon l’école. Les élèves ou disciples cheminent d’école en école, de dojo en dojo, en intégrant les techniques et la philosophie de chacune. De temps à autre émerge un «réformateur» qui remet tout ou partie en cause, permettant au système d’évoluer sans se scléroser.
Ce dispositif s’étaye sur des bases techniques et des fondamentaux solides, tout en autorisant l’adaptation et la novation. C’est d’ailleurs le secret de la puissance de l’économie et de l’industrie japonaises: allier tradition et innovation.
Dernier point, ce mode de formation et de transmission s’appuie non pas sur une pédagogie de groupe, mais sur une relation maître-élève complètement personnalisée. Le même maître abordera ses quelques élèves de manières différentes selon leurs besoins, leurs personnalités, leurs aptitudes. En outre le Maître jouit d’une autorité technique ET morale absolues. Il n’est pas systématiquement le meilleur, le plus virtuose, le plus talentueux, il est celui qui comprend la psychologie de l’apprenant, qui sait comment transmettre.
Il me semblerait utile de transposer ce modèle d’enseignement dans le champ de la tauromachie, parce que la tauromachie est une activité traditionnelle présentant des similitudes tout à fait comparables.
*
J’ai insisté plus avant sur la sclérose qui accompagne tous les systèmes d’école DANS NOTRE ENVIRONNEMENT OCCIDENTAL.
Il n’est que de considérer l’histoire de l’art pour confirmer cette analyse. Berlioz, Wagner, Duke Ellington, Miles Davis, les Beatles ou Bob Marley n’étaient pas des produits d’écoles en matière musicale, pas plus que Goya, les Impressionnistes, Picasso, Dali ou Miro en matière picturale. Pour autant ils demeuraient rattachés à la tradition par des bases techniques solides qu’ils ont su dépasser et/ou sublimer. La technique n’est qu’un moyen, nullement une fin.
Picasso par exemple maîtrisait parfaitement tous les canons et les règles de la technique picturale, ce qui lui a permis de s’affranchir de ses contraintes et d’accéder à une vraie liberté de création.
Son évolution artistique s’est fondée sur la confrontation avec d’autres artistes, d’autres techniques, d’autres points de vue. Mais elle ne fut possible, et il n’est devenu un maître que parce qu’il disposait de ces bases solides, comme Da Vinci, Rafaël, Michel Ange, Le Greco, Dührer, Velazquez, etc. avant lui. Ces maîtres ont pu tout se permettre parce qu’ils savaient tout faire.
Ce n’est nullement le cas, je l’ai dit, de nos modernes produits taurins manufacturés.
Picasso par exemple maîtrisait parfaitement tous les canons et les règles de la technique picturale, ce qui lui a permis de s’affranchir de ses contraintes et d’accéder à une vraie liberté de création.
Son évolution artistique s’est fondée sur la confrontation avec d’autres artistes, d’autres techniques, d’autres points de vue. Mais elle ne fut possible, et il n’est devenu un maître que parce qu’il disposait de ces bases solides, comme Da Vinci, Rafaël, Michel Ange, Le Greco, Dührer, Velazquez, etc. avant lui. Ces maîtres ont pu tout se permettre parce qu’ils savaient tout faire.
Ce n’est nullement le cas, je l’ai dit, de nos modernes produits taurins manufacturés.
*
Les écoles ont existé en tauromachie. Cela fut toujours un échec à terme.
Ainsi fut-il de l’Ecole de Ronda ou de celle de Séville qui après Francisco Montes, élève de Pedro Romero laissèrent rapidement la place à un système maître-disciple où l’espada intronisait son apprenti-péon-banderillero en lui laissant un jour l’opportunité de tuer (d’où l’origine de l’alternative).
Les innovateurs (à ne pas confondre avec les «toreros d’époque») n’ont quasiment jamais été des produits d’école: au XXème siècle Belmonte, Manolete, El Cordobes. Pas plus que des grands maîtres comme Joselito (El Gallo), son frère Rafael, Victoriano de la Serna, Domingo Ortega, Antonio Ordoñez, Paco Camino, El Viti, Antoñete, etc…
C’est que si l’idée d’une formation de qualité s’avère louable, elle est vite récupérée par le mundillo aux fins inavouables développées plus avant, et dépérit dans un enlisement conformiste.
A ses débuts, en 1977 sous l’impulsion de Enrique Martín Arranz (tiens! un ancien novillero…) et pendant 20 ans, l’Ecole Taurine de Madrid a tout d’abord porté de beaux fruits: El Yiyo, Joselito, El Fundi, Jose Tomas, El Juli, etc… Toute une génération de toreros complets, polyvalents et dotés d’une excellente technique.
Depuis le tournant du millénaire, il semble n’en aller plus de même. Raréfaction des talents? Successions de «crus» médiocres? Le mal me semble plus structurel que conjoncturel et procéder de la logique de l’étiolement et de l’inféodation au système que j’ai exposée ci-dessus. Les écoles répondent à la demande du mundillo, tout en y participant et en s’en faisant complice.
La boucle est bouclée. La particularité du système éducatif français que j’évoquais dans le premier épisode, c’est à dire l’indépendance de l’institution Education Nationale par rapport aux exigences du monde économique ne prévaut en rien en Espagne où, tout au contraire, elle s’y inféode.
Les écoles taurines d’Espagne –et certains voudraient la même chose en France- «produisent», sur mesure, les novilleros dont le système a besoin, selon les normes qu’il établit.
Il est contraire à la tradition française, dans l’esprit comme dans la lettre, d’agir de même.
Ainsi fut-il de l’Ecole de Ronda ou de celle de Séville qui après Francisco Montes, élève de Pedro Romero laissèrent rapidement la place à un système maître-disciple où l’espada intronisait son apprenti-péon-banderillero en lui laissant un jour l’opportunité de tuer (d’où l’origine de l’alternative).
Les innovateurs (à ne pas confondre avec les «toreros d’époque») n’ont quasiment jamais été des produits d’école: au XXème siècle Belmonte, Manolete, El Cordobes. Pas plus que des grands maîtres comme Joselito (El Gallo), son frère Rafael, Victoriano de la Serna, Domingo Ortega, Antonio Ordoñez, Paco Camino, El Viti, Antoñete, etc…
C’est que si l’idée d’une formation de qualité s’avère louable, elle est vite récupérée par le mundillo aux fins inavouables développées plus avant, et dépérit dans un enlisement conformiste.
A ses débuts, en 1977 sous l’impulsion de Enrique Martín Arranz (tiens! un ancien novillero…) et pendant 20 ans, l’Ecole Taurine de Madrid a tout d’abord porté de beaux fruits: El Yiyo, Joselito, El Fundi, Jose Tomas, El Juli, etc… Toute une génération de toreros complets, polyvalents et dotés d’une excellente technique.
Depuis le tournant du millénaire, il semble n’en aller plus de même. Raréfaction des talents? Successions de «crus» médiocres? Le mal me semble plus structurel que conjoncturel et procéder de la logique de l’étiolement et de l’inféodation au système que j’ai exposée ci-dessus. Les écoles répondent à la demande du mundillo, tout en y participant et en s’en faisant complice.
La boucle est bouclée. La particularité du système éducatif français que j’évoquais dans le premier épisode, c’est à dire l’indépendance de l’institution Education Nationale par rapport aux exigences du monde économique ne prévaut en rien en Espagne où, tout au contraire, elle s’y inféode.
Les écoles taurines d’Espagne –et certains voudraient la même chose en France- «produisent», sur mesure, les novilleros dont le système a besoin, selon les normes qu’il établit.
Il est contraire à la tradition française, dans l’esprit comme dans la lettre, d’agir de même.
S’il l’on nous demande de nous plier à des modèles éducatifs en contradiction avec nos valeurs, il est normal que se fassent jour des oppositions. Oppositions sur la mission et l’éthique qui devraient nécessairement régir une éventuelle formation des futurs toreros.
Le jour où l’on ambitionnera un enseignement complet, approfondi et diversifié qui vise à transmettre les grands fondamentaux de la lidia, la multiplicité des suertes, devant TOUS les types de toros; le jour où l’on convaincra un apprenti torero qu’une lidia, ce sont 3 tercios et non 1,5; le jour où on leur apprendra que le torero doit se plier au toro et le mettre en valeur et non le contraire, ce jour là, on pourra enfin se reprendre à espérer.
D’ici là qu’on ne nous parle pas de cautionner un système que nous condamnons.
Conjuguer la tradition, le respect des fondamentaux, l'usage intransigeant d'une éthique et dans le même mouvement la créativité et l'innovation devrait constituer notre Graal. Est-ce le cas?
Le jour où l’on ambitionnera un enseignement complet, approfondi et diversifié qui vise à transmettre les grands fondamentaux de la lidia, la multiplicité des suertes, devant TOUS les types de toros; le jour où l’on convaincra un apprenti torero qu’une lidia, ce sont 3 tercios et non 1,5; le jour où on leur apprendra que le torero doit se plier au toro et le mettre en valeur et non le contraire, ce jour là, on pourra enfin se reprendre à espérer.
D’ici là qu’on ne nous parle pas de cautionner un système que nous condamnons.
Conjuguer la tradition, le respect des fondamentaux, l'usage intransigeant d'une éthique et dans le même mouvement la créativité et l'innovation devrait constituer notre Graal. Est-ce le cas?
Xavier KLEIN
7 commentaires:
Doit on mettre toutes les écoles taurines dans le même panier ?
Quand on voit toréer Mario Alcalde à Céret, on peut espérer que la formation made by Frascuelo est différente.
JPc
Tout à fait JPc.
Mais justement, il s'agit là d'une relation maître-disciple et non d'une école, autant que je sache et sauf erreur.
ce n'est ni la relation maitre-disciple ni professeur-élève,le bon enseignement ne dépend que de la personne qui enseigne, rien de plus et de sa capacité à transmettre.
Vous avez tout à fait raison et je suis d'accord avec votre point de vue. Quand on voit un jeune "matador de toro" fraîchement "diplômé de l'alternative" refuser une corrida dans une grande féria de début de saison alors qu'il doit savoir que sa saison sera limitée en nombre de contrats ... on ne croît pas rêver ... on rêve ! ET maintenant ça commence avant .... on rêve toujours ...
Mon cher Xavier,
Structure moins lourde qu'une "école", il y aurait peut-être - basée sur une relation maître-élève temporaire et s'inspirant de ce qui se pratique régulièrement dans le monde de la musique classique - le système des "master class", où un maestro confirmé vient momentanément donner des leçons d'interprétation à de jeunes praticiens; et ces maestros sont invités par la "master class" - qui choisit donc qui elle invite...
Car n'oublions pas qu'à l'instar de toutes les autres activités artistiques - du moins si elle en est une, la tauromachie nécessite une technique maîtrisée - et d'autant plus que la "matière" sur laquelle s'exerce son art (le toro de combat) est matière vivante donc fluctuante malgré les tentatives post-modernes et plus ou moins abouties de formatage façon "toridiot à 60 passes"... Ainsi, il est par exemple illusoire de déplorer - chez nombre de novilleros actuels - l'absence d'utilisation de "passes de châtiment" en début de faena car, au-delà du fait que beaucoup de leurs adversaires sont "châtiés" dès le campo aux bons soins d'une sélection ad hoc, ils ne peuvent pas utiliser une technique qu'on ne leur aura pas apprise ou dont il n'auront vu aucune illustration... D'ailleurs, en fait "d'illustration", une école taurine peut-elle être autre chose qu'une sorte d'enseignement d'un "toreo de salon"?... Car, comment résoudre la question des travaux... pratiques (c'est à dire comment être sûr à l'avance d'avoir bien choisi le "bon toro" - celui qui aura valeur d'exemple pédagogique, tant la matière est aléatoire)?...
A suivre?...
Abrazo fraternel - Bernard
PS: et merci pour le vieux "desport" ("se desporter" pouvant se lire aussi "se déporter", c'est à dire "faire un pas de côté" - le long d'un chemin qu'on aurait cru balisé); et peut-être qu'on pourrait voir dans ce vieux "desport" un lien avec l'hispanique "deportivo"?...
Mon cher Bernard,
Avisé et pertinent comme à l'habitude.
J'avais envisagé l'idée de la "master class", bien qu'elle pose toujours le problème des masters.
Tout ceci est très intéressant, donc, l'Art s'enseignerait comme à l'école des stars!
soyons sérieux!
si donc il s'agit seulement comme aujourd'hui, avec des toros prévisibles, d'un spectacle, nécessitant tous les ingrédients, toroniais et toreros très techniques, on peut l'enseigner, mais sans moi, pour regarder.
mais ou est l'art?
quelle connerie tout ça! avec tout mon respect, tu le sais, xavier.
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