Humeurs taurines et éclectiques

dimanche 14 novembre 2010

UNE ECOLE TAURINE: POURQUOI FAIRE 1?

Comme de coutume, l'Association des Organisateurs de Corridas et Novilladas du Sud-Ouest se réunissait le jeudi 11 novembre à Saint-Sever.
Etant membre, il ne m'appartient nullement d'en commettre le compte-rendu, bien qu'apparemment l'entrée au conclave paraissant être ouverte à tout un chacun, tout un chacun pourrait donc le faire.
Si l'ambiance est courtoise et bon enfant, elle n'exclut aucunement les propos vigoureux et l'on y sent percer souvent les débats et contradictions du monde taurin.
En fin de réunion, à l'arraché, sur la lassitude de 3 heures d'échanges, on nous a proposé de subventionner une école taurine sise dans notre chère Gascogne.
Malheureusement -mais était-ce un hasard?- on nous a incité dans l'urgence et sous une pression quelque peu suspecte à conclure et à décider d'un détail au premier abord anodin. J'ai pourtant la faiblesse désuete de penser qu'il n'est pas inutile de réfléchir avant d'agir, même si l'ACTION est à la mode.
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N'ayant eu l'opportunité de développer une quelconque argumentation pour mettre en balance une décision fondée sur la seule émotion, il me semble nécessaire, au risque de passer pour l'éternel fulminateur (ce dont je n'ai cure), de revenir sur le sujet.
L'ensemble de mes questionnements pourrait se résumer à une interrogation originelle: «Une école taurine: pourquoi faire?»
Le sujet a déjà été abordé dans la Brega. On comprendra qu'un Principal de Collège ne puisse que s'y intéresser. La question de l'école, de l'enseignement, de la transmission de savoirs et de valeurs ayant constitué une vocation professionnelle occupe, avec passion, la majeure partie de ma vie.
L'Education (avec un grand E) fait partie de ces thèmes où chacun croit pouvoir détenir une vérité (ou tout au moins un point de vue) au motif que tout le monde a frotté ses culottes sur les bancs de l'institution.
C'est pourtant un petit peu court: tout le monde a consulté chez le médecin et n'est pourtant pas capable ni d'exercer, ni d'enseigner la médecine, tout le monde se sert d'une automobile sans savoir réparer un moteur, etc., etc.
Enseigner est un métier qui s'apprend après de longues études et la maîtrise de connaissances et compétences complexes. On a souvent tendance à l'oublier dans une société où la démagogie donne à penser qu'on peut se piquer de tout savoir sans rien connaitre.
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La transmission des savoirs et savoirs-faire relève de la même logique que n'importe quelle autre activité. En l'occurrence, dans l'acte d'enseigner, la MANIERE (la pédagogie et la didactique) importe autant que le CONTENU (la discipline). C'est d'ailleurs pourquoi un Chef d'Etablissement, un Conseiller d'Education ou un professeur de lettres peuvent indifféremment exercer en collège, en lycée ou en lycée professionnel: les contenus diffèrent mais la technique est la même.
Dans la tradition et la culture françaises, résultant d'un consensus de la Nation, la fonction d'éducation se détache nettement d'un utilitarisme économique. En France (contrairement à l'Allemagne par exemple), le peuple confie à l'Ecole la mission de «Former l'Homme et le Citoyen» et non de former le travailleur et d'être un rouage de l'outil économique. En dispensant des savoirs poussés, on veut instruire des hommes et des femmes en mesure de pouvoir évoluer, progresser, se reconvertir, comprendre leur époque, exercer leurs facultés critiques ou créatives.
Cela ne va pas sans contestations. Les professionnels se plaignent parfois que les élèves ne soient pas immédiatement «exploitables» dans les entreprises et considèrent qu'il est inutile qu'on leur enseignât des notions aussi inutiles que la connaissance du monde contemporain, les règles de sécurité ou la législation du travail. La même logique serait-elle à l'oeuvre dans le monde taurin?
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Toutefois l'Education Nationale ne détient pas le monopole de l'enseignement.
Que ce soit dans le domaine sportif, culturel ou artisanal, les écoles spécialisées dispensent des formations de qualité. Les écoles de lutherie, d'ébénisterie, de reliure, etc. pour l'artisanat d'art, les conservatoires, écoles des Beaux Arts, de théâtre ou de cinéma en matière artistiques, les formations dispensées par les fédérations sportives complètent dans des domaines particuliers l'enseignement délivré par l'Education Nationale.
Quelque soit le secteur d'activité, on constate toujours une exigence croissante et une élévation progressive du niveau des enseignants.
En matière sportive, le Brevet d'Etat d'Educateur Sportif (B.E.E.S.: niveau IV, baccalauréat) décliné en trois degrés (1er degré: éducateur sportif, enseignement du sport choisi; 2edegré: formateur de formateurs, perfectionnement des sportifs; 3edegré: expert dans la discipline) s'impose comme un minimum exigible pour toute formation. Il requiert non seulement la maîtrise du savoir spécifique, mais également un socle indispensable de savoirs de base (physiologie, anatomie, biomécanique, environnement institutionnel, économique et juridique…), sans compter l'Attestation de Formation aux Premiers Secours (A.F.P.S.). Les Brevets d'Etat, diplômes de base débouchent sur des formations encore plus poussées: les Diplômes d'Etat
http://www.sports.gouv.fr/francais/metiers-et-formations/animation-educateurs-sportifs/les-formations-et-diplomes/de-jeps-diplome-d-etat-de-la
En matière culturelle, il en va de même. Pour exemple, les Ecoles de Musique et Conservatoires ont progressivement remplacé tous les enseignants n'ayant pas les diplômes ou qualifications suffisantes.
Cette politique qualitative a permis de hausser notre pays au niveau de nos congénères européens et surtout de réduire considérablement les fautes, bévues et accidents qu'occasionnaient des enseignements «artisanaux» d'antan. Qui a connu les méthodes et pratiques rudimentaires des braves mais frustres entraineurs de jadis témoignera qu'en la matière, il n'y a pas photo!
Pour exemple, voici le programme de formation SPECIFIQUE pour l'obtention du Brevet d'État option Rollers (la partie GENERALE est encore plus gratinée!):
* Épreuve de documentation
* Politique sportive de la Fédération française de roller-skating
* Fondamentaux de l’initiation
* Approche globale de la pédagogie
* Fondamentaux pratique
* Sport de haut niveau
* École du Roller Français (E.R.F.)
* Environnement socioéconomique et juridique
* Équipement, matériel, modules
* Environnement institutionnel
* Préparation à l’épreuve écrite
* Lutte antidopage
* Préparation à l’épreuve orale
* Statuts F.F.R.S, règlement intérieur
* Synthèse des fondamentaux
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Le problème se pose exactement dans les mêmes termes en matière de tauromachie. Sauf qu'en outre la tauromachie cumule les exigences d'une activité physique mais également d'une activité artistique.
On entrevoit donc, pour peu qu'on se penche sérieusement sur le sujet, et surtout qu'on se préoccupe d'une formation de qualité, que le concept d'Ecole Taurine, pour être crédible ne saurait s'improviser à la va-vite. On distingue par contre très clairement que dans l'école actuellement existante, on ne dispose d'aucun formateur puissant satisfaire, ne serait-ce qu'ad minima à aucune des exigences nécessaires.
Il a pourtant des implications extrêmement lourdes, y compris juridiquement.
Qu'arrivera t-il le jour où un «élève» se verra blessé, handicapé à vie ou pire? Où seront-ils les enthousiastes supporters du projet lorsque le Procureur ou l'avocat de la partie civile viendront demander des comptes, y compris au pénal?
Il ne s'agit pas là d'élucubrations hypothétiques et pessimistes mais d'une réalité des tribunaux qui tend à se multiplier: j'en suis régulièrement témoin dans ma pratique professionnelle, associative et politique.
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Il faut savoir résister aux chants des sirènes.
Surtout à ceux qui proviennent d'un système dont le seul souci est de garnir les arènes et de programmer de jeunes novilleros «de la tierra» bien taquilleros.
Excusez-moi de songer surtout à ces gosses.
Surtout à l'avenir de l'immense majorité qui ne connaitra jamais le bonheur d'être figura et terminera en «chaussettes» parce qu'on ne les aura pas préparé sérieusement... Effets de mon imagination? Vous voulez des noms?
Xavier KLEIN
Suite dans UNE ECOLE TAURINE: POURQUOI FAIRE 2?
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11 commentaires:

pedrito a dit…

Très juste analyse de Xavier!
Le malheur, c'est que même ceux qui terminent ou ont terminé "en chaussettes", c'est-à-dire 99% des aspirants, ne semblent pas en avoir conscience, et ils continuent de soutenir un système qui n'a besoin que des figuras qui font tourner un système opaque, corrompu, et ils opposent le même déni que les taurinos et les "vedettes" aux exigences de clarté et d'intégrité avancées par les aficionados.

Anonyme a dit…

Avez-vous vu Maitre Xavier l'interview de Sébastien Castella (figura del toreo) lorsqu'il affirme que Richard Milian est la seule et unique personne existante en France capable d'enseigner le toreo. Alors lorsque vous dites qu'il n'y a aucun formateur capable d'apporter le minimum cela me passe un petit peu en travers de la gorge ! Vous n'avez aucune compétence ni experience dans le monde taurin pour avoir un tel jugement ! Un peu d'humilité s'il vous plait !

Xavier KLEIN a dit…

Cher anonyme,
En l'espèce, je ne sais pas si Sébastien Castella est une "figura del toreo", je sais par contre qu'il n'est pas une "figura" de la pédagogie.
D'où tiendrait-il le titre d'ailleurs? Quelles compétences a t-il pour connaître l'aptitude du sieur Milian à enseigner?
Ceci dit, puisque vous abordez la question, vous n'aurez sans doute aucune peine à me démontrer que Castella est un expert qui a fait ses preuves devant les élevages de respect qu'il torée régulièrement.
J'attends tout de même qu'il prouve devant des Dolores AGUIRRE par exemple, un sens de la lidia qui l'autorise à ainsi décerner des brevets.
Je vous prie toutefois de bien vouloir me relire et je note que vous ne répondez en rien à mes arguments pourtant précis.
Par expérience, quand on répond à coté, c'est que la question ne plait pas...
Je n'ai certes pas d'autre expérience dans le monde taurin que d'aller voir, bon an mal an mes trente corridas et novilladas, de visiter mes 20 ganaderias et de m'être quelque peu frotté aux bestioles.
Par contre, j'ai une très grande expérience (incomparable au regard de Castella et de Milian) DE CE DONT JE PARLE DANS CET ARTICLE: LA PEDAGOGIE.
Quant à l'humilité que vous évoquez, elle n'est bien souvent que le paravent de la lâcheté, de l'insignifiance ou de l'incompétence.
Pour juger de mon humilité, nommez vous d'abord, on verra ensuite...

Anonyme a dit…

C'est bien ce qu'on leur reproche, et qui n'est pas près de s'éteindre: ce monde est fermé sur lui-même et ses certitudes, et il utilise ses courageux tireurs embusqués (anonymes !!!)- sur la toile, ou dans les callejons- pour tirer sur les aficionados qui ne courbent l'échine devant qui que ce soit de ce mundillo, mais exigent simplement qu'on les écoute, alors qu'ils sont réduits au silence.
Jusque sur leurs blogs: insupportable !

Pedrito

FiX a dit…

Je ne suis pas d'accord avec toi. Je ne suis pas sur que le modèle éducatif français, que tu décris avec tendresse, soit le meilleur, le plus adapté... etc à la chose taurine. C'est une affaire de point de vue. De même que je ne sois pas sur que R Milian soit la "seule et unique"... Par contre il est mieux placé que nous pour parler de la technique du toreo. Tu connais mon gout pour les subtilités du toreo, mais un matador de toro fort de plusieurs années d'expérience en connait plus que tous les aficionados nourris au grain popelinesque ou tio pepesque. Je crois que tu te trompes depuis longtemps déjà sur les supposés facilitées octroyées par le maestro Milian à ces "recrues". El Colemonte, que je ne porte pas dans mon coeur, dit certaines vérités dans sa poubel... heu non sa web revue taurine. Mais poursuis ton raisonnement à son terme que nous puissions croiser le fer une nouvelle fois... je m'en delecte d'avance!

KLEIN Xavier a dit…

Nous sommes d'accord Fix.
Je suis bien placé et suffisamment critique pour savoir les limites, les avantages, les inconvénients, les forces et les faiblesses de notre système éducatif français.
C'est d'ailleurs pourquoi, je décris d'autres modes de fonctionnement (sportif, artistique, etc.).
Quant à la question de R. MILIAN.
Sorti de l'hagiographie et du culte du «grand homme», je ne suis pas sûr qu'il soit un exemple de technique tauromachique.
Je suis encore moins sûr qu'il soit bien placé pour en parler.
Et plus du tout sûr qu'il le soit pour l'enseigner.
Mais tout cela EST UNE APPRECIATION PERSONNELLE
Ce qui ne l'est pas, par contre, c'est que ta thèse (que tu affirmes comme une vérité) est la négation du métier de critique (faut-il être chanteur pour mieux connaître la chanson, la parler et l'apprendre?).
La plupart des professeurs de physique, d'E.P.S., d'histoire, etc... ne sont pas physiciens, champions, historiens, etc., comme ceux qui ont conçu le Rafale ou le Concorde n'étaient pas pilotes (et n'en n'avait nullement besoin. C'est d'ailleurs une querelle qui a été traitée et réglée définitivement depuis … Socrate. Mais l'erreur demeure éternellement au coeur de l'Homme, comme dit l'Ecriture.
Attends la fin de l'article pour sauter en l'air.
Amitiés.

Anonyme a dit…

si Sébastian CASTELLA pense que Richard MILIAN est le mieux placé pour enseigner la tauromachie, pourquoi ne pas avoir fait appel à lui au lieu de CAMPUZANO?, curieux, non? très bien pour les autres mais pas pour lui, mais au moins lui à réussit.

Anonyme a dit…

de combien l'école a-t-elle était subventionnée?, pour payer qui plutôt que quoi? Vous avez raison sur la formation légale en france pour l'enseignement et la sécurité des élèves ainsi que la prise de risque, Béatrice BRETHES qui avait un diplôme d'éducateur sportif , même un bafa et le brevet de secourisme était parfois inquiête et redoutait l'accident et ses conséquences, et à çà personne n'y pense, moi non plus avant que Béatrice n'évoque le sujet.

FiX a dit…

j'ai du mal m'exprimer. Je pense qu'en tant que praticien du toreo un matador de toros, même modeste, est mieux placé pour en parler qu'un aficionado,aussi compétent soit il. Cela interdit il à l'aficionado d'avoir une opinion critique. Et de l'exprimer. Que nenni!
Ton analogie avec les avions ne me parait pas pertinente. Car pour apprendre à piloter, qui fournit cette formation? De même il faut mieux un couturier pour un costume ou un capote de brega. Non?
Critique je suis, avec ma compétence. Mais puis je transmettre mon savoir du toreo? je ne crois pas. Le partager tout au plus.

Xavier KLEIN a dit…

Tu poses une vraie question.
Car qui valide le geste du toreo? Ce n'est pas le torero mais celui qui le regarde.
Cela pose le problème de la connaissance subjective et objective, résolu par Socrate qui tient que la connaissance est en chacun de nous et que le pédagogue n'est là que pour "l'accoucher"
Je soumets en outre à ta réflexion le mot d'Ordoñez à qui l'on avait demandé de commenter l'une de ses faenas et qui avait répondu en gros: "Si je dois en parler, à quoi sert-il que je me sois cassé la nénette à le faire?". Ordoñez qui a passé beaucoup de temps après sa retirada pour détruire tous les films qui le montraient toréer. Pourquoi à ton avis?
Il me semble mon cher Fix que tout cela mérite un questionnement (ce que j'essaie de faire) plutôt que des réponses arbitraires.
Ce qui me hérisse ce sont les vérités révélées fondées sur fausses évidences, qui ne laissent aucune place au doute, à la critique et au questionnement.
La validité de ce que fait Milian ne paraît pas questionner grand monde. Elle me questionne, et je pose des faits et des arguments à l'appui de ces questions.
Si évidemment on écarte cela d'un revers de manche...
Enfin, tout au bout, il peut quand même y avoir le drame d'un jeune homme. Drame moral (l'échec) ou drame physique (mort, blessure, handicap). Cela vaut me semble t-il la question...

FiX a dit…

tu deviens parano mon président adoré!
je ne balaie rien du revers de la manche. Et si tu questionnes permet à ton contestataire préféré d'y apporter SA réponse. Est elle universelle? que nenni (je l'aime bien celle là). Mais si ton blog ne sert qu'à la rencontre de gens d'accord d'avance... je me retire sur la pointe des pieds. Il me semble que d'un questionnement particulier (R Milian est il l'homme de la situation?) tu as une vision générale qui n'est pas la mienne. Je me permettais de la partager avec toi.
Car je ne crois pas que R Milian ait monté une école. Il donne un coup de main à deux jeunes, pétris d'aficion, en leur prodiguant conseils, appuis et expérience. Mle brèthes avait eu la volonté de créer une "ecole taurine". A ce titre l'expérience "Milian" me parait plus propice.