Humeurs taurines et éclectiques

samedi 19 septembre 2009

"ARCHI-CHIANT"?

«Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi, ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient le contraire, et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire.»
Confucius

Dans un article paru dans le TOROMAG n°15 d’août 2009, Benito del Moun, (que ces pseudonymes sont pénibles!) pose la problématique à laquelle sont confrontés nombre d’organisateurs de spectacles taurins.
(article repris par l'incontournable Paquito II -qu'il m'excuse, de ne pas être en accord avec lui pour une fois- dans le forum de la F.S.T.F.: http://www.torofstf.com/forum/read.php?f=1&i=8221&t=8221)
Si l’auteur pose bien la question, il n’en demeure pas moins que la (les) réponse(s) sont infiniment plus complexes qu’il veut bien le laisser entendre, format de l’article oblige sans doute.
Orthez ayant été désignée par certains comme une plaza «d’art et d’essai», il va sans dire que ces propos de Benito del Moun nous interpellent.
Il semble utile d’y répondre, non pas de manière polémique, mais par l’explication.
D’autant que ce questionnement et les enjeux qu’ils évoquent se placent réellement au cœur même des débats de la Commission, et par delà du mundillo.
En préalable, il convient d’expliquer le contexte et l’analyse sur laquelle se fondent les options retenues par la dite commission, validées par son président.
Le Pesqué est une plaza de 3ème catégorie d’une capacité de 3200 places (2800 payantes). Elle se situe en marge méridionale de la zone de tradition taurine et constitue avec Garlin, une «exception béarnaise».
Bon an, mal an, depuis plusieurs années, le taux de remplissage moyen varie de 65 à 75% (invitations comprises). Cette année il a été de 73%.
Le déficit engendré par cette situation oscille depuis dix ans entre 20.000 et 45.000 euros (34.000 euros en 2008), à la charge du contribuable.
80% du public (60% de la capacité de l’arène) est constitué de spectateurs locaux, dont l’immense majorité assiste à 1 à 3 festejos par an. Il serait en revanche intéressant de savoir combien accèdent à des corridas télévisées ou à la presse spécialisée.
La corrida des fêtes constitue une tradition à laquelle ce public est très attaché et fidélisé, ce qui constitue un atout.
Orthez est en outre confronté à la contrainte de la concurrence de nos amis de Saint Vincent de Tyrosse le même jour, voire de Garlin, la veille.
Les problèmes rencontrés en d’autres lieux se retrouvent à Orthez: désaffection et vieillissement croissants du public. A des mutations culturelles, on doit surtout ajouter la contrainte financière d’un renchérissement du coût du spectacle et donc du prix des places depuis plusieurs années. Bon gré, mal gré, d’un spectacle populaire on dérive ineluctablement vers un spectacle plus élitiste socialement, du fait même de cette inflation.
La prise en compte du déficit par les finances municipales ne pose pas encore problème, tant qu’il demeure dans des limites raisonnables. Mais d’ores et déjà, sous l’influence des discours anti-taurins, des critiques se font jour, qui tôt ou tard, feront débat. Même si l'attachement des ortheziens à ce qu'ils tiennent pour une composante essentielle de leur identité locale ne fait aucun doute.
Il faut également préciser que le budget global d’une corrida à Orthez (toros, toreros, cavalerie, frais divers) se monte à 75.000 euros (hors «com») ce qui représente une gageure qui ne manquera pas de faire sourire les «géants» voisins...
Le cadre politique dans lequel s’exerce l’activité, consultative, de la Commission (le président, votre serviteur, en étant le garant et seul responsable en tant qu’élu) doit donc répondre aux impératifs suivants:
1°) Minimiser autant que possible le déficit.
2°) Conserver le caractère populaire et rajeunir le public, ce qui suppose de pratiquer des prix raisonnables (les plus bas de France, et de loin, depuis des années).
3°) Maintenir, voire développer des spectacles qui aient un sens. C’est à dire, ne pas organiser des spectacles commerciaux, ou au rabais, pour dire qu’on les organise, mais se préoccuper d’une certaine éthique.
4°) Maintenir la corrida (son remplacement par des novilladas ayant été exclus a priori par le politique).
L’enjeu peut donc se résumer à la nécessité d’attirer de 200 à 500 spectateurs supplémentaires.
Quels peuvent-ils être?
Au regard de ce qui se passe ailleurs, et notamment des grandes plazas qui remplissent, ce public ne peut être qu’exogène.
La question à laquelle doit répondre Orthez est simple dans son énoncé et complexe dans sa réponse: comment attirer ces spectateurs qu’on peut dés lors légitimement nommer aficionados?
Une première réponse a été, depuis une décade, d’organiser une journée taurine complète, qui justifie un déplacement et attire un public populaire et jeune, qui n'a pas toujours les moyens de s'offrir une corrida.
La deuxième est infiniment plus difficile puisqu’elle concerne le créneau à occuper, c’est à dire le style de tauromachie qu’on entend présenter.
Tant à Orthez que dans les plazas comparables d’Aire ou d’Eauze (j’exclus Tyrosse qui peut bénéficier d’un apport de "public de plage" qui nous est interdit), les compromis, les voies médianes ont été jusqu’à présent retenus. On a essayé de concilier les exigences louables de l’aficion locale, le goût supposé d’un public néophyte pour le spectaculaire, l’attente des édiles pour des succès retentissants qui se traduisent par un déluge de trophées, et la chronique laudatrice de la presse locale.
Cela donne des toros sensés «servir», des toreros «animateurs» et un spectacle qui perd de sa substance, et s’expose à des critiques anti-taurines ou à des sourires aficionados narquois qui deviennent ainsi justifiés.
Combien d'aficionados "extérieurs", volontiers critiques, se rendaient régulièrement au rendez-vous orthézien pour y faire vivre la tauromachie? Une question qu'on peut poser pour d'autres plazas qui se démènent, accompagnées du vertueux soutien virtuel de l'aficion "bien pensante", généralement absente sur les gradins.
En dehors de la perte de sens de ce qui devient alors en règle générale une charlotade à vocation surtout commerciale, il est clair que CELA NE MARCHE PAS, et qu’à terme on va à la disparition de l’activité taurine dans ces villes, si l'on n'y remédie.
Il faut donc évoluer entre les deux pôles que constituent dans l’aficion, l’option torerista et l’option torista.
La mise en place de la première nécessite des moyens incompatibles avec les possibilités existantes. Une figura, même de «deuxième rang», «consomme» à elle seule la globalité du chapitre «torero».
En outre, quelle peut être leur motivation ou leur intérêt à s’investir dans une plaza de 3ème catégorie (quand il ne le font que rarement en plaza de 1ère)?
De plus, avec les figuras ou les figuritas, il faut "les toros qui vont avec", c’est à dire le deuxième, ou plutôt le troisième choix des ganaderias en vogue, qui demeurent encore à des tarifs prohibitifs pour la présentation que l’on connait. Si l’on goûte le «demi-toro» faible, soso et afeité, on y trouvera son bonheur!
L’option torerista n’est donc pas mobilisable parce qu’elle n’est pas réaliste dans une petite plaza.
La deuxième option torista est beaucoup plus concevable financièrement. Les conclusions de Benito del Moun s’imposant à la plupart des organisateurs, surtout en Espagne, on parvient à trouver nombre d’élevages délaissés, et de lot disponibles à des tarifs raisonnables. Il en va de même pour les nombreux toreros de milieu ou de queue de l’escalafon, qui cherchent désespérément des contrats, soit parce qu’ils n’en ont pas, soit pour faire nombre dans leur tableau de chasse, soit parce qu'ils peuvent se faire remarquer.
Cette deuxième option peut toutefois dériver vers les résultats que Benito dénonce à juste raison dans son article: la difficulté pour un public majoritairement néophyte, d'adhérer à un spectacle qui suppose une culture taurine et des prérequis.
Orthez a donc choisi d’opter pour une solution sinon médiane, du moins équilibrée avec le cahier des charges suivant:
1°) Un toro INTEGRE, présenté DANS LE TYPE (y compris de petit tamaño si nécessaire).
2°) Un toro ENCASTE (ce qui ne sous-entend pas difficile) qui s’exprime.
3°) Un toro FORT et mobile qui peut supporter un premier tercio (au moins deux piques) réalisé dans les règles de l’art. Il n’est rien de pire, surtout à Orthez, que les toros qui s’affalent. A ce propos, un effort considérable (prix, information, valorisation, dialogue avec toreros et piqueros) est réalisé.
4°) La promotion d’encastes rares ou négligés, d’élevages méconnus.
5°) Un toro qui permette un troisième tercio d'une trentaine de passes.
Il n’est donc nullement question de singer Vic ou Céret, ni de produire des aurochs difficiles, peu appropriés à l’exiguïté du ruedo orthezien. Il s’agit d’aller vers le piquant, l’authenticité et l’originalité, et de donner à voir une différence qui peut séduire, dans une perspective de pondération.
Il en va de même pour les toreros. Ne pouvant nous offrir des vedettes, nous recherchons l’aficion, le désir, la sincérité, la motivation et également nous voulons proposer l’opportunité d’une chance ou d’une seconde chance.
On le voit, les choix retenus ne constituent pas la résultante d’options idéologiques (même si ces choix sont sous-tendus par une éthique), mais la conclusion de constats, d’analyses et d’un raisonnement.
Dois-je préciser que je suis personnellement de «tradition dacquoise» et que je ne renie en rien les goûts taurins de ma ville natale. Ponciste et morantiste, on ne peut donc me suspecter de "torisme" forcené.
Mais l’exigence en matière de toros, d’une once minimale de caste et de sauvagerie qui permette de qualifier légitimement un «toro de lidia», constitue t-elle déjà un extrémisme?
Ces choix sont l’objet de débats au sein d’une commission plurielle et diversifiée, qui réunit la palette des sensibilités aficionadas et citoyennes (les toristes, les toreristes, les prudents, les audacieux, les comptables, les pragmatiques, etc.). C’est normal et c’est sain.
Comme tous choix, ils peuvent être contestables, mais ils ont le mérite d’être clairs et argumentés. Ils doivent en outre s’assumer sur une certaine durée avant évaluation. Une identité ne se construit pas en une temporada! Rome ne s'est pas faite en un jour (alors Orthez!)
Il faut également prendre en compte le facteur déterminant que constitue le fait de ne disposer que d’un "pistolet à un coup", quand les grandes plazas organisent des ferias (ou d’une temporada) de plusieurs corridas pour s’assurer un succès hypothétique. Orthez, c’est donc la pratique obligée et contrainte de la roulette russe. Il n’y a pas de deuxième chance, ni de session de rattrapage.
Combien faut-il voir de corridas pour en voir une «bonne»? Et qu’est-ce qu’une «bonne corrida»? Il ne faudrait donc pas en venir à reprocher aux petites plazas qui se démènent, les contingences auxquelles elles sont assujetties, ce qui serait un comble.
Benito fustige un excès. Et il a raison de le faire.
Mais ce qu’il dit des spectacles toristes «archi-chiants», il pourrait aussi bien le dire de bien d’autres. Et les grands cycles sévillans, madrilènes, bilbaínos -ou même dacquois- de cette temporada confirment que l’ennui ou l’insignifiance ne constituent pas le monopole du torisme tel qu’on le caricature, mais bien le lot de notre passion. Cela relativiserait et crédibiliserait son propos.
En d’autres termes, Benito peut-il citer une seule arène où l’on ne se soit pas ennuyé, selon ses canons, au moins sur une corrida, cette année?
Le lieu commun galvaudé qui consiste à assimiler torisme et ennui constitue en fait un présupposé répandu par ceux qui ont intérêt à promouvoir «l'autre tauromachie», celle qui prône une prétendue modernité. Il est dommage que Benito se commette à cette confusion.
Ce discours n'a d'ailleurs rien d'original, et concerne TOUS LES ARTS. C'est le discours méprisant de ceux qui savent mais rejettent la «masse» dans une ignorance dont elle ne saurait s'affranchir. Ce sont les mêmes qui trouvent inconciliable la lecture de Proust, de Céline ou de Yourcenar et celle du Midi Olympique, mais également vouent aux gémonies, pèle-mêle, l'opéra, le ballet, la symphonie, la sculpture, la philosophie, etc. (la liste serait interminable) aux motifs que le «peuple» (dont ils se croient les porte-voix) n'adhèrerait pas à des modes d'expression qui ne sollicitent pas simplement une simple jouissance consommatrice, mais demandent un effort de compréhension et d'intelligence.
On peut légitimement préférer ARTE à TF1, et ne pas vouloir s'abrutir dans des spectacles débiles, sans passer pour autant pour des extrémistes...
Dans cette perspective, qui prend réellement les gens pour des cons en leur donnant ce qu'ils sont sensé aimer, et qui les respecte en pariant sur leur intelligence et leur compréhension?
Existe t-il une solution assurée, une formule miracle pour «...captiver. Donner des raisons de s'enthousiasmer»?
Si Benito prétend connaître cette panacée, il sera un homme riche que toute empresa se disputera. Cependant, il semblerait qu’il s’y soit essayé, aux sources de la Midouze, sans que le résultat se soit avéré tellement probant, ce qui devrait le rappeler à plus de retenue, n'ayant d'évidence su trouver le Graal taurin.
Sachant qu'avec le Graal, ce qui importe c'est la queste.
A Orthez, nous faisons du mieux que nous pouvons, avec le peu dont nous disposons, sans être particulièrement épaulés par le mundillo, c’est le moins que l’on puisse dire.
A défaut de réussir pour l’instant, nous osons.
Cela s’appelle en langage taurin «avancer la jambe» et cela devient si rare et si désuet de nos jours…

Xavier KLEIN

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bieeeeeeeen !!

Bernard a dit…

Xavier,

Merci pour ce superbe plaidoyer - si tant est qu'Orthez en eût besoin (!), et surtout pour cette magnifique démonstration de la cohérence de votre démarche!... Et c'est d'ailleurs tout simplement au nom de cette même cohérence - plus ou moins subodorée même si alors non aussi clairement exprimée - que nous avons choisi ce juillet de cheminer jusqu'à vous (près de 3 heures de route - mais quelle récompense d'aficion et d'amitiés!...). Alors, continuez d'avancer ainsi la jambe, et nous continuerons à vous suivre en toute confiance (d'ailleurs, avoir sincèrement ressenti l'exemplaire 2009 sans acrimonie nous prédipose à recevoir le "miracle" qui viendra nécessairement!)...

Suerte - Bernard

PS : "Avec obstination, sortir des sentiers battus, longer les murets du campo, découvrir les ganaderias que la plupart négligent, que certains dédaignent, que beaucoup refusent. Offrir aux aficionados notre vérité, celle du toro bravo. Ce Toro rêvé, quelquefois ébauché, rarement, trop rarement vu... C'est parce qu'il existe que nous existons." (Association Des Aficionados Cérétans - Edito 2009)... Chacun restant lui-même, il me semble cependant lire en filigrane comme un pont entre les deux extrêmités des Pyrénées!

Pedrito a dit…

Moi aussi, modeste aficionado a los toros, et ceci depuis de nombreuses années, je continue, devant les taquillas, mais de plus en plus rarement, je le concède- vu la cruelle dérive de la corrida,- d'avancer la jambe, de charger la suerte, pour encourager les quelques placitas qui se battent pour maintenir ce niveau d'authenticité de la lidia qui seul pourrait sauver notre passion commune.

Et cette année, malgré mon optimisme et malgré les efforts des organisateurs, nous avons eu tant de raisons d'être déçus!!
De sortir des tendidos aburridos...
Mais ne faisons au moins pas de procès à ceux qui sont les derniers à les "mériter"....
Suerte para la proxima temporada.

el chulo a dit…

Xavier,

bravo pour ce splendide texte, dont pas mal d'organisateurs institutionnels pourraient s'inspirer.
très pédagogique et transparent, il traite à fond du problème des placitas de petite capacité, et des problèmes des organisations municipales autonomes.
les plazas plus importantes ont d'autres problèmes, entre autres de participer au financement des fêtes populaires et sont elles, "condamnées" à être bénéficiaires, donc, aussi dignement que possible, doivent attirer un maximum de spectateurs.
ainsi, les commissions taurines sont t'elles souvent contraintes de faire des compromis et à ne pas toujours "se faire plaisir", car il y a aussi de bons aficionados chez eux.
de plus un echec entrainant des pertes ou un fiasco taurin aurait ds conséquences "politiques" assez lourdes.
pour le reste je te suis lorsque tu dis que la corrida suit la pente d'une société frivole et en même temps intolérante, toute orientée vers le seul profit. l'opéra a subi les mêmes dérives avec callas qui fut à son zénith avec le cordobes et a coonduit à une uniformation des sons, des timbres et des voix sans respecter les tessitures ou les grains pour lesquels ont été écrites les partitions.

bien à toi et encore bravo..

el chulo a dit…

décevant,
j'aurais aimé qu'un texte d'une telle qualité et d'une telle profondeur et sincérité permette d'ouvrir des débats intéressants.
ah oui, j'oubliais au sujet "d'intéressant", j'ai vu les deux oreilles et la queue de Luque à Nîmes je crois.
Obscène, indécent, à pleurer ou vomir.
Ceci explique celà.