«Mourir en combattant, c'est la mort détruisant la mort. Mourir en tremblant, c'est payer servilement à la mort le tribut de sa vie.»
William SHAKESPEARE "Vie et mort du roi Richard II"
Quand on bourlingue un peu, à condition d’être un voyageur et non un touriste, de recevoir les choses avec ouverture et non de juger, on constate au fil des expériences que le code social, tel qu’il est compris sous nos latitudes n’est en rien universel.
Un concert de jazz, un récital lyrique, une pièce de théâtre, un film ne sont pas vécus de la même manière en France, à Séville, Ouagadougou ou Harlem.
IL y a trente ans, lors d’un séjour aux «States», j’ai eu l’occasion d’écouter Sonny Rollins, dans un bouge interlope de Brooklyn où il avait échoué après l’une de ses errances solitaires sous le pont de Williamsburg. Ecouter si l’on peut dire, étant donné le brouhaha ambiant, encadré par une pute loquace et deux dealers irascibles qui n’appréciaient pas mon teint trop pâle. Cela ne paraissait perturber personne, surtout pas le "maître".
Itou dans un caboulot de Sanlucar où le regretté Camarón avait ses habitudes quand il rentrait au pays, en ne dédaignant pas d’y pousser la chansonnette, accompagné par les «2 cañas, 2» d’un serveur particulièrement volubile (assorti d’un patron particulièrement sourd). Le bon José s'en accomodait avec bonhomie.
Idem enfin pour les séances cinématographiques de Ouagadougou où les films commençaient sur une bobine d’un chef d’œuvre de Bergman et se terminaient sur l’entame de Rambo III. Sonorisés par les vociférations lubriques à la moindre parcelle de chair féminine, agrémentés par les spectateurs qui se lèvent pour embrasser l’écran, et les hourras en l’honneur du soviéticide héros (alors qu’à la manif de l’après-midi on vilipendait l’impérialisme yankee…).
Mais l’on pourrait tout aussi bien évoquer les chahuts orchestrés par la claque de la scala de Milan, ou, dans l’art qui nous concerne, le lancer de bacalao con tomate de Pampelune.
Faut-il dénoncer le contraste avec notre cher et vieux pays où la religiosité s’est transportée depuis les églises jusqu’aux théâtre, de la Cène à la scène?
Le sérieux, la solennité, l’affectation avec laquelle on communie dans les temples de l’art gaulois, ne manquent jamais d’étonner les visiteurs pour qui une dévotion si accomplie ne saurait s’expliquer.
Avisez-vous donc de vous esclaffer bruyamment dans la tension insoutenable d’une faena de Perera, surtout si un indulto est au programme, et vous comprendrez ce que sont réellement la haine et le mépris des aficionados «comme il faut». Vous entendrez crescendo le chœur des «chut!» indignés s’élever dans une unanimité de république bananière.
Au risque de l’iconoclastie, de l’irrespect ou de la pissefroidure, on a toujours le droit -et bientôt le devoir- d’applaudir et de s’émouvoir, mais pas celui, tout aussi légitime et naturel, de contester ou d’indifférer tranquillement: les ayatollahs sont toujours ceux qui critiquent, jamais ceux qui encensent.
Il faut PO-SI-TI-VER.
Jean Luc HEES (CRS HEES HEES), le lèche-botte désigné par notre cher président pour succéder à Jean Paul CLUZEL à la tête de Radio France, a récemment affirmé devant le C.S.A., à propos de Stéphane GUILLON, qu’il «préférait l’humour à l’impertinence» et qu’il «n’était pas sûr que les auditeurs d’Inter recherchent l’impertinence.». Andouille, va! Que nenni! Que nenni! Il y a encore des amateurs d’impertinence en ces temps de lobotomisation générale.
On me rétorquera, en matière taurine, le nécessaire et élémentaire respect dû à celui qui joue sa vie.
Voilà en l’espèce une posture mentale toute relative, produite par une société qui professe une telle abomination de la mort, un tel désir de l’écarter, de la nier presque, que tout ce qui s’y rapporte impose un respect terrorisé quasiment religieux.
Par le passé ou sous d’autres horizons, cette dramaturgie construite autour de «celui qui risque la mort» non seulement ne signifierait rien mais pourrait même prêter à sourire ou à ironiser.
Des guerriers celtes, vikings, scythes ou cheyennes qui affichaient un mépris ostentatoire de la mort, voire qui la courtisaient, aux 3 mousquetaires qui vont ripailler sous la mitraille dans les postes les plus exposés, toute une culture du détachement, de la dérision, de la fête sanglante a traversé les âges.
L’élégance et la morgue aristocratique du hussard qui porte beau dans un uniforme chamarré, et qui charge joyeusement en gants beurre frais, en riant de la Gueuse, rejoint par delà les siècles, le dédain du samouraï qui déguste paisiblement son thé sous le feu, la joie sauvage des spartiates de Léonidas qui festoient, coiffent leurs longs cheveux, se pomponnent, et dansent la pyrrhique avant de marcher à une mort annoncée aux Thermopyles ou bien l’allégresse des sioux de Sitting Bull, qui se peignent et banquettent avant d’affronter Custer à Little Big Horn.
"C'est un beau jour pour mourir!". L’apostrophe des fiers indiens des grandes plaines, avant la chasse ou le combat, se retrouve en termes identiques chez nos ancêtres gaulois, et tous ces guerriers prêts à mourir ou à tuer pourraient l’entonner telle quelle, sans en renier ni le mot, ni l’esprit.
Tous communient dans cette conviction profonde qu'on ne saurait toiser la mort que de haut, avec le dédain qu'on doit aux affaires futiles.
Un concert de jazz, un récital lyrique, une pièce de théâtre, un film ne sont pas vécus de la même manière en France, à Séville, Ouagadougou ou Harlem.
IL y a trente ans, lors d’un séjour aux «States», j’ai eu l’occasion d’écouter Sonny Rollins, dans un bouge interlope de Brooklyn où il avait échoué après l’une de ses errances solitaires sous le pont de Williamsburg. Ecouter si l’on peut dire, étant donné le brouhaha ambiant, encadré par une pute loquace et deux dealers irascibles qui n’appréciaient pas mon teint trop pâle. Cela ne paraissait perturber personne, surtout pas le "maître".
Itou dans un caboulot de Sanlucar où le regretté Camarón avait ses habitudes quand il rentrait au pays, en ne dédaignant pas d’y pousser la chansonnette, accompagné par les «2 cañas, 2» d’un serveur particulièrement volubile (assorti d’un patron particulièrement sourd). Le bon José s'en accomodait avec bonhomie.
Idem enfin pour les séances cinématographiques de Ouagadougou où les films commençaient sur une bobine d’un chef d’œuvre de Bergman et se terminaient sur l’entame de Rambo III. Sonorisés par les vociférations lubriques à la moindre parcelle de chair féminine, agrémentés par les spectateurs qui se lèvent pour embrasser l’écran, et les hourras en l’honneur du soviéticide héros (alors qu’à la manif de l’après-midi on vilipendait l’impérialisme yankee…).
Mais l’on pourrait tout aussi bien évoquer les chahuts orchestrés par la claque de la scala de Milan, ou, dans l’art qui nous concerne, le lancer de bacalao con tomate de Pampelune.
Faut-il dénoncer le contraste avec notre cher et vieux pays où la religiosité s’est transportée depuis les églises jusqu’aux théâtre, de la Cène à la scène?
Le sérieux, la solennité, l’affectation avec laquelle on communie dans les temples de l’art gaulois, ne manquent jamais d’étonner les visiteurs pour qui une dévotion si accomplie ne saurait s’expliquer.
Avisez-vous donc de vous esclaffer bruyamment dans la tension insoutenable d’une faena de Perera, surtout si un indulto est au programme, et vous comprendrez ce que sont réellement la haine et le mépris des aficionados «comme il faut». Vous entendrez crescendo le chœur des «chut!» indignés s’élever dans une unanimité de république bananière.
Au risque de l’iconoclastie, de l’irrespect ou de la pissefroidure, on a toujours le droit -et bientôt le devoir- d’applaudir et de s’émouvoir, mais pas celui, tout aussi légitime et naturel, de contester ou d’indifférer tranquillement: les ayatollahs sont toujours ceux qui critiquent, jamais ceux qui encensent.
Il faut PO-SI-TI-VER.
Jean Luc HEES (CRS HEES HEES), le lèche-botte désigné par notre cher président pour succéder à Jean Paul CLUZEL à la tête de Radio France, a récemment affirmé devant le C.S.A., à propos de Stéphane GUILLON, qu’il «préférait l’humour à l’impertinence» et qu’il «n’était pas sûr que les auditeurs d’Inter recherchent l’impertinence.». Andouille, va! Que nenni! Que nenni! Il y a encore des amateurs d’impertinence en ces temps de lobotomisation générale.
On me rétorquera, en matière taurine, le nécessaire et élémentaire respect dû à celui qui joue sa vie.
Voilà en l’espèce une posture mentale toute relative, produite par une société qui professe une telle abomination de la mort, un tel désir de l’écarter, de la nier presque, que tout ce qui s’y rapporte impose un respect terrorisé quasiment religieux.
Par le passé ou sous d’autres horizons, cette dramaturgie construite autour de «celui qui risque la mort» non seulement ne signifierait rien mais pourrait même prêter à sourire ou à ironiser.
Des guerriers celtes, vikings, scythes ou cheyennes qui affichaient un mépris ostentatoire de la mort, voire qui la courtisaient, aux 3 mousquetaires qui vont ripailler sous la mitraille dans les postes les plus exposés, toute une culture du détachement, de la dérision, de la fête sanglante a traversé les âges.
L’élégance et la morgue aristocratique du hussard qui porte beau dans un uniforme chamarré, et qui charge joyeusement en gants beurre frais, en riant de la Gueuse, rejoint par delà les siècles, le dédain du samouraï qui déguste paisiblement son thé sous le feu, la joie sauvage des spartiates de Léonidas qui festoient, coiffent leurs longs cheveux, se pomponnent, et dansent la pyrrhique avant de marcher à une mort annoncée aux Thermopyles ou bien l’allégresse des sioux de Sitting Bull, qui se peignent et banquettent avant d’affronter Custer à Little Big Horn.
"C'est un beau jour pour mourir!". L’apostrophe des fiers indiens des grandes plaines, avant la chasse ou le combat, se retrouve en termes identiques chez nos ancêtres gaulois, et tous ces guerriers prêts à mourir ou à tuer pourraient l’entonner telle quelle, sans en renier ni le mot, ni l’esprit.
Tous communient dans cette conviction profonde qu'on ne saurait toiser la mort que de haut, avec le dédain qu'on doit aux affaires futiles.
Notre société peut-elle encore comprendre, peut-elle admettre une telle attitude? Ses tenants et ses aboutissants? On préfère maintenant le drame à l'épopée, le pathos à l'héroïque.
Certes on s'adonne au bacalao durant la San Fermin, certes on aime à déguster les huîtres en bonne compagnie pendant les novilladas dacquoises, certes on apprécie de taster d'un moscato d'Asti dans le callejon d'Orthez, mais tout cela n'est nullement de l'irrespect.
C'est simplement la rencontre entre Eros et Thanatos, entre la Fête et la Mort, qui caractérise le fait taurin, comme l'on exhibait les ossements en clôture des banquets antiques, parce que vie et mort sont indissociablement liées, et que la Saturnale, l'inversion des valeurs et la confusion des genres s'accomplissent dans le ruedo dans une catharsis libératoire qui suppose la dérision.
C'est l'inscription dans une tradition séculaire purement taurine et ibérique, une tradition de cet humour porté par Hemingway dans "Mort dans l'après-midi", explicitée par Daniel Royot lors du colloque Éthique et esthétique de la corrida en décembre 2007.
En France, on affecte ce sérieux cartésien, ce respect déplacé et vain, qui ignore superbement le sens pourtant évident et combien riche et profond de l'expression fiesta brava. Tant pis! Laissons les dévots à leur ignorance.
La Dança generale de la Muerte (danse macabre d'Holbein)
Car après tout, comme le soulignait le génial Alphonse Allais, «La mort n'est qu'un manque de savoir-vivre».
Une certitude partagée par Henri Désiré Landru marchant vers l’échafaud qui confiait à son avocat d’un ton badin: «La guillotine? Oh, juste une petite coupure dans la grisaille du quotidien…». Il ne risquait pourtant pas sa vie, il l'accomplissait...
Xavier KLEIN
3 commentaires:
Que ce soit « la fête et la mort » ou bien « la fête de la mort », la mort est au faîte de la vie puisqu’elle répond à l’éternelle question qui obsède l’existence des Hommes, « et après ? ».
Lionel
Xavier,
Tous ceux que tu cites - "celtes, vikings, scythes ou cheyennes" ... "mousquetaires, hussards, hoplites ou sioux" - avaient en commun, outre leur héroïsme inconstestable, d'être des guerrieris et de vivre en des époques violentes au sens où les luttes à mort (guerres comprises) étaient le lot générationnel. Alors, l'unique choix comportemental - hormis pour les femmes et les "prêtres" - était entre le pleutre et le héros...
Et si, après notre XXe siècle "de fer", nous Européens - ayant décidé d'essayer de rompre ce cercle infernal de la violence au bénéfice d'un apprentissage de la paix - nous trouvions désormais dans cette situation entièrement nouvelle d'avoir le choix de refuser l'héroïsme "à mort" sans pour autant nous percevoir comme pleutres?... Ajoutons à cela que si nous demandions à la jeunesse d'aujourd'hui (soit les adultes de demain) où sont ses héros, il est probable qu'aucun des noms de guerreiers que tu as cités n'y figurerait, mais que néanmoins une forme d'héroïsme se dessinerait au travers d'une aspiration au dépassement de soi (ce qu'incarnèrent toujours tous les héros), mais un dépassement de soi qui ne demanderait plus la mort en gage...
Dès lors, quelles conséquences pourraient résulter de pareille "levée de gage" sur la corrida?... Et si là était le point de bascule de la "dispute" actuelle entre afinionados, justifiant que le combat d'un "toroniais" (ainsi que le nomme si pertinemment Olivier DECK) - outre ne plus être un combat mais plutot un spectacle - ne soit plus gagé sur la mort obligatoire du toro (d'où la logique des toros "à indulto" - logique poussée jusqu'à les sélectionner et les élever dans ce but); justifiant comme a contrario que le combat d'un toro encasté et furieux, parce qu'il y a fureur et donc risque de mort plus grand pour le torero, demeure gagé sur la mort du toro?...
Pardonne l'inconvenance éventuelle de ces questions, mais ce ne sont que des questions (je n'en ai bien sûr pas les moindres réponses)... Irions-nous plus loin de vive voix?... A Orthez?...
Bien à toi, et merci de faire que ces questions puissent être posées ici
Bernard
cher xavier,
je m'en vais répétant un peu partout la même litanie, "pesao" je me mets, mais bon :
à mugron il y eut un novillero-novillero , juan del alamo, et qu'on se le dise. des autres...ni mu ni fa ni fu. mais quand on a les mains occupées à applaudir et la gorge pleine de jaleos on n' a plus le temps de jeter un peu de gravier ou pour la roucoule de l'ironie ou de la "guasa" . les novilos plus que corrects et sous-employés sauf ceux du salmantin bien sûr. je ne serai pas à garlin mais je penserai à lui dimanche vers 17 h. avec les novilos de joselito le coctail à déjà de bonnes effluves. ojala qu'en gorge il "ténarèze" comme tu dis.
ludo
ps : tu cites landru maintenant. cojonudo.de futurs amis en perspective. et bernard a toujours des analyses pertinentes et clairvoyantes.
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