Humeurs taurines et éclectiques

jeudi 18 octobre 2012

Montagnes Pyrénéééééées, vous êtes ....

Quand on y pense, c’est bizarre et déconcertant une montagne.
D’abord, ça ne sert rigoureusement à rien, sinon au plaisir quelque peu vicelard des tordus qui aiment à la dévaler planches au pieds l’hiver (dont je fais partie) et à l’escalader en suant l’été.
A part ça, c’est d’un chiant! Surtout quand –et c’est souvent le cas- elles se mettent à plusieurs pour emmerder le monde.
Voyez les Pyrénées par exemple! Enfin, moi je les vois à l’instant où je vous écris…
C’est qu’elles nous empêchent de reluquer peinard l’Espagne ces connes!

Pour aller d’Orthez à Pamplona, c’est à peine 130 kms à vol de mouette rieuse ou de gypaète barbu, soit une heure d’autopista virtuelle, mais en fait, sans le secours des volatiles, faut se cogner 3 heures par Roncevaux et le Basquistan (ou 2h30 et 200 kms par Béhobie).
Donc, la cause est entendue, la montagne, c’est con, chiant et inutile.
Néanmoins, on ne sait pas trop pourquoi, ça existe!

Mais ça n’existe pas de la même façon d’où qu’on la regarde.
Un aragonais ou un navarrais vous soutiendront mordicus que leurs putains de montagnes sont arides et fauves, quand un ossalois ou un aspois les tiendront pour des trucs plutôt humides et verdoyants.
Ils ont tous raisons, et pourtant ce sont les mêmes montagnes qui, au plus fort de l’hiver sont enneigées à l’ubac et rocailleuses à l’adret.
Tout est une question –à tous les sens du terme- de point de vue.

Je me suis longtemps figuré Dieu -mais pour ceux que cela gêne, on pourrait tout autant le remplacer par «Vérité Ultime», «Principe Suprême», «Amour infini», «Harmonie complète», «Grand Horloger», «Architecte de l’Univers», «Bing Bangueur Fou», «Chaos sublime», «Néant Total» ou «fumeur de Farias»- comme une montagne.
Une montagne assaillie par la multitude des humains qui empruntent qui la face sud, qui la paroi nord, qui la déclivité ouest, etc.
Ainsi, il existerait un versant mahométan, un versant chrétien, un versant juif, etc. qui appartiendraient à la même montagne mais vue sous des angles différents.
Il y a même des agnostiques qui ne savent pas exactement si la montagne existe ou non, des athées qui prétendent qu’elles n’existe pas et que c’est une création des hommes, mais également des chamanistes, des animistes, des panthéistes, et toutes sortes de petits sentiers, certains même ouvrant des pistes nouvelles.
Ceux du sud sont prêts à guerroyer contre les nordistes, aux motifs que leur montagne est blanche quand les autres iraient au martyre pour plaider sa verdeur.
Mais là aussi, c’est toujours de la même montagne qu’il est question.

En fait, la montagne seule  sait ce qu’elle est, la montagne seule peut embrasser la plénitude de son être et de ses apparences, comme un humain perçoit aussi bien la globalité de son corps, de sa silhouette que les détails de son orteil ou du lobe de son oreille, ce qu’une puce ne pourrait jamais envisager depuis son millimètre carré d’épiderme.
La montagne pyrénéenne par excellence, c’est le Vignemale, double fois montagne puisque l’étymologie de son nom provient de deux racines pré-indo-européennes vin et mal signifiant toutes les deux … «montagne».
Vignemale face nord
Partagée entre le Parc National français et la réserve espagnole d’Ordesa, on serait bien en peine de dire si la réalité de ce géant est mieux appréhendée depuis Bielsa ou depuis Luz Saint Sauveur.

Vignemale depuis le sud
Il y a 500 ans, si l’on avait montré à des autochtones des deux versants, des clichés du coté opposé, chacun aurait nié farouchement qu’il s’agisse de la même montagne. Et pourtant!
Il y a d’autres manières d’interpréter la montagne.
Les poètes la chanteront, les aéronautes la survoleront, les naturalistes la peupleront de faune et de flore, les topographes la planifieront et les géologues la dissèqueront, la découperont en tranches, l’expliqueront, restitueront son histoire, y compris sans jamais y avoir mis les pieds, attestant d’une réalité irréfutable que les berger installé sur ses pentes peuvent méconnaître complètement.

Il n’existe donc pas UNE VERITE ABSOLUE que tel ou tel pourrait revendiquer, il y a DES VERITES RELATIVES et FRAGMENTAIRES, ou plus exactement plusieurs facettes parfois contradictoires d’une même et unique réalité vue sous des angles, des prismes, des méthodes, des présupposés, des histoires, des subjectivités, des sensibilités, des cultures, etc. différents.
Tout simplement parce qu’un esprit humain limité et subjectif ne saurait tout englober, y compris l’intériorité de l’objet.
Cela semble évident vu comme cela, n’est-ce pas?
Quasiment simpliste?
Indigne d’être énoncé?
De l’enfonçage vain de portes ouvertes?

Cela ne l’est nullement.
A la suite de mon divertissement nîchmois sur l’événement cosmique tomasien, l’irrévérence du propos m’a valu une bordée de commentaires injurieux d’une violence qu’en matière de tauromachie, on ne rencontre généralement que de la part des «zantis».
Pourtant la «montagne tomasiste», je l'ai vu moi aussi, non pas in situ, non pas à l'instant, mais par le filtre déformant (ou au contraire révélateur) d'un petit film d'amateur.
Et tel que je le décris, c'est une partie fragmentaire d'une certaine réalité, vu sous un certain angle, à partir de certains critères qui EN VALENT BIEN D'AUTRES.

Ce genre de truc m’amuse et me questionne: en général lorsqu’un quidam est en rogne, une petite voix me susurre toujours que c’est avant tout contre lui-même. Parce que s’il est une espèce que les gens ne supportent pas, c’est bien celle des «salisseurs de rêves», des «destructeurs d’utopie», des «anéantisseurs de jouissance».
Allez révéler à un gugusse que la nuit de volupté absolue qu’il a connu s’est déroulée avec un transexuel brésilien mais qu’il était trop bourré pour s’en apercevoir, vous m’en direz des nouvelles…

De la sorte la dissection ludique d’une faena «anthologique» qu’on a encensé à l’excès, à partir de la vidéo médiocre d’un témoin mal situé, a déclenché des fureurs hors de proportion avec le propos.
Personnellement, à leur place j’aurais réagi sur le mode: «Ah bon! Ouais! Bof!» ou « Si ça lui fait plaisir!», voire «C’est une façon de voir les choses!».
Mais, je sais être plus con que les montagnes, Dieu ou la Vérité qui, pour leur part ne disent rien de rien, puisqu’ils n’en ont rien à foutre de ce que l’on pense d’eux.
Ce qu’il conviendrait d’ailleurs d’expliquer à ceux qui s’émeuvent des caricatures ou des blasphèmes.
Car les mêmes qui s'offusqueraient à juste raison qu'on muselât la presse, qu'on censurât un caricaturiste ou un polémiste, parce qu'il aurait raillé Mahomet, le Pape ou la Vierge Marie, poussent des cris d'orfraie lorsqu'on déboulonne Jose Tomas...
Allez y comprendre quelque chose...
Heureusement que je vis en la doulce France. Plus à l’Orient, on m’aurait sans doute «taurinement fatwatisé»!
Xavier KLEIN

mercredi 17 octobre 2012

HISTOIRES de PIQUES 4

On n’arrête pas la marche victorieuse du progrès!
Sait-on que grâce aux satellites, aux drones et autres babioles électroniques, Big Brother connaît tout de nous?
Sait-on que depuis l’espace, grâce aux vertus de l’infrarouge, la moindre variation de température à la surface du globe, le moindre taliban qui fait son jogging ou fouette sa mouquère au fin fond de son territoire tribal, le plus petit barbecue organisée par Bachar el-Assad à Alep, sont immédiatement repéré par les «grandes oreilles» -qui en l’occurrence sont aussi les «grands yeux»- des «grands méchants loups» de Moscou, de Pékin ou de Washington.

Alerte maximum il y a quelques jours, lorsque l’on décela avec perplexité une intense activité calorique par 43° 47’ 14’’ de latitude Nord et 1° 24’ 11’’ de longitude Ouest, ce qui correspond très précisément aux coordonnée géodésiques d’une bourgade landaise du joli nom de Vieux-Boucau-les-Bains (http://www.tierrastaurinas.com/terrestaurines/actus/01-10-12/11-10-122.php).
Tels les rois mages bouleversifiés à l’apparition de l’étoile, on s’enquit de l’origine et de la nature du phénomène, des fois qu’un nouveau Messie fut né d’un cocu et d’une vierge...

Non, il ne s’agissait pas des feux celtiques de Beltane, ni de ceux de la Saint Jean, pas plus que de l’une de ces facéties ignées que goûtent dans ces parages certains «zantis».
Plus simplement -mais peut-on parler de simplicité en la matière- c’était la modeste contribution au réchauffement planétaire du génie local qui aime parfois à sortir de sa lampe pour associer les médiocres humains que nous sommes, si tellement peu schopenhauerisés, à ses méditations transcendantales.
Les plaisirs solitaires exigent parait-il, une grande débauche d’énergie, tous les boutonneux vous le confirmeront.
C’est apparemment le cas à Vieubouc, où l’Everest de la pensée taurine, l’inspirateur des figurasses, le suprême réformateur de la fiesta brava, tel le patriarche Moïse avec les Tables de la Loi, a généreusement condescendu à dévaler de son Olympe pour porter aux humbles mortels que nous sommes, les viatiques indispensables à la survie taurine.
***
Comme toujours, le prophète souffle alternativement le froid et le chaud, oeuvrant dans l’ambiguïté salvatrice et le discours polymorphe qui lui permettent de toujours prétendre à avoir tout déclaré, dans la mesure où ayant avancé tout et son contraire, il finit à terme par avoir toujours raison.
Les arrières-pensées du gourou étant claires comme de l'eau de boudin ou «comme la combinaison de Cléopâtre, cousue de fil blanc», on relèvera avec ironie qu’il manie la litote avec infiniment plus de virtuosité qu’il ne mania jadis les trastos.
Ainsi, à propos de la pique, avance t-il résolument : «si le problème de l'instrument est digne d'intérêt, le vrai facteur d'innovation qu'il convient d'apporter au tercio de piques concerne surtout la manière dont il convient de l'utiliser» pour mieux revenir quelques lignes après sur la pique «française» qui tout de même, faut pas déconner, c’est aut’ chose, hein.
Surtout quand c'est un copain qui la fabrique...

La litote c’est bien, mais la prosopopée, c’est mieux. Les deux premières solutions qu’il propose font, sans la nommer, la publicité d’une arlésienne, dont le nom commence par «Bo» et se termine par «ol». On se demande vraiment de qui il peut s’agir!

La troisième n’est pas mal non plus. Evidemment lorsqu’on ne fréquente que les ruedos de réputation cosmique, ou la Monumental de Rion des Landes, où l’on ne court que des non-piquées (excellentes au demeurant), on ne peut appréhender que dans certains lieux mal famés, si l’on «espace les lignes de 6 mètres» on risque de se retrouver avec un cercle minuscule au centre de l’arène, une cible pour jeux de fléchettes, ce qui ferait un peu couillon au final.
***
Quant à l’ultime proposition, c’est le pompon, il ne s’agit de rien de moins que de l’enterrement de première classe du tercio de piques en en inversant totalement les données.
Je m’explique:
La faena de cape et de muleta reposent fondamentalement sur la pénétration par le torero de l’«espace vital» du toro, de son terrain. C’est parce qu’il arrive à jurisdicción, c’est à dire qu’il empiète dans la zone où le toro se sent menacé, que ce dernier charge pour l’en chasser. Tout cela suppose que l’action soit décidée et menée par le torero qui se positionne par rapport au toro et non l’inverse. C’est pourquoi en début de faena, le torero s’efforce de dominer son adversaire en partant des tablas (qui est son terrain naturel) pour gagner vers le centre (qui est le terrain naturel du toro). C’est cette intrusion, déclinée selon des modalités différentes à la muleta, qui fonde élémentairement l’acte taurin.
Tout cela, ce n'est pas moi qui le formalise, c'est le maître Popelin, et avec lui la totalité des autorités incontestables en matière taurine, qu'elles fussent commentateurs ou toreros (je parle des «gens sérieux» pas des gougnafiers contemporains en mal de «com»).

Par contre, on teste et on mesure la bravoure, c’est à dire l’agressivité offensive du toro, en lui proposant de pénétrer sur le terrain du binôme cheval/piquero.
Là, ce n’est plus l’homme qui doit entrer dans son territoire, mais le toro qui doit manifester l'instinct offensif, faire l’effort de rentrer dans celui de son adversaire qui, comme par hasard, se situe dans son terrain le plus défavorable: aux tablas et face au toril, querencia «naturelle» du cornu. Ce n’est pas le cheval qui marche au toro, c’est le toro que l’on entraîne au cheval (à distance croissante).
C’est une transition tactique et psychologique, le seul moment, où le toro a l’initiative de l’action, même si l’opération n’exclut nullement le travail de la cavalerie, les cites, les croisements, une faena équestre qu’on ne voit malheureusement que trop rarement. Une initiative dont usent parfois les toros encastés qui se ruent parfois sur la cavalerie, sans qu’on puisse les contrôler. Est-il besoin de rappeler une évidence aussi criante?
Evidemment, ce processus est un idéal qu’il convient d’éventuellement emménager, notamment en cas de mansedumbre. Un toro doit être piqué, y compris par le recours à la carioca où le dépassement des tercios si nécessaires.
Ce que propose le cárdeno océanique c’est exactement l’INVERSE, c'est à dire de préconiser que le cavalier se positionne par rapport au toro et provoque sa charge, interdisant toute évaluation de la bravoure «naturellement et spontanément exprimée».
Ce n’est ni plus, ni moins que l’adaptation scandaleuse des règles à la débilité du «toro moderne» et à la décadence du «toreo moderne».
C’est la capitulation et l’acte fondateur d’une anti-tauromachie dépourvue de tout sens, le combat authentique cèdant dés lors la place à ce qu’il nomme de façon éloquente, la «mise en scène».
Le simple fait d'avoir pensé cela, de l'envisager, de le théoriser suffit à disqualifier l'auteur. Car ce qui est en jeu n'est pas seulement le respect conservateur et stupide d'une orthodoxie, mais la mutation d'un combat en spectacle.
Contrairement au Gourou, je n'ai jamais imaginé représenter une autorité en matière taurine, je me contente d'exprimer des opinions. Mais que celui qui a la prétention d'être un maître incontesté en la matière se livre à des élucubrations aussi clairement absurdes et contraires aux fondamentaux les plus élémentaires le discrédite complètement.

En fait, dans le fond, grimé sous un discours trompeur et racoleur, il n’a jamais renoncé,  à son fond de commerce: cette tauromachie «moderne» que ne pouvant imposer frontalement, il s’efforce d’introduire par la bande et par ses propositions dilatoires.
C’est à cela que vise tout le dispositif.
***
Le grand homme s’éviterait moult délires si, en lieu et place de ses divagations théoriques, il se donnait la peine d’opérer un transport de majesté et venait sur le terrain se rendre compte du travail continu et effectif de ceux qui ont vraiment à cœur la sincère réhabilitation du premier tercio. Un tercio réhabilité pour lui même et non pour faciliter la mise en œuvre de la tauromachie «moderne» à laquelle notre génie grisonnant n’a jamais vraiment renoncé qui subordonne tout au troisième tiers.

Il constaterait derechef, se soustrayant au ridicule de discours coupés de la réalité, que si ces questions «font débat sur les blogs espagnols», elles font acte dans certaines arènes françaises, qu’il ne fréquente pas et dont il ne parle jamais.
Il est vrai qu'il est plus aisé et confortable de pontifier auprès d'espagnols qui ne vous connaissent pas que de convaincre des français qui ne vous connaissent que trop.
***
Pour terminer sur une note plus constructive, tant qu'à donner dans le bizarre, ajoutons au dossier quelques contributions vidéos-burlesques, propres à inspirer les prochaines élucubrations du Grand Observateur: la pique revue et corrigée par artistes et farceurs, avant que d'en admirer dans de superbes documents d'époques les fondements antiques.
A méditer, lorsque qu'on envisage d'en disserter. On s'aperçoit ainsi que ceux qui glosent sur l'importance accordée à la poussée du toro, ou sur l'effet de l'instrument devraient quelque peu réviser leur jugement. De fait, à l'origine, la rencontre était brève, intense et malheureusement définitive pour le canasson.
En la matière, la modernité a parfois du bon: on ne supporterait pas aujourd'hui, moi le premier, les premiers tercios d'antan...
Xavier KLEIN
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lundi 15 octobre 2012

«N’éveille pas le chat qui dort»



Connaissez vous Grandville?
Peut-être alors Jean Ignace Isidore Gérard?
Non plus?
Pas étonnant, le premier étant le pseudonyme du second.
Mais si, vous connaissez!
Il serait étonnant que vous ne le connussiez point, il a bercé les endormissements de tant d’enfants depuis 150 ans.
Allez, un petit effort!

Rompons là l’insoutenable attente.
Jean Ignace (qui comme on le sait est un petit nom charmant) fut au début du XIXème siècle, caricaturiste et l’illustrateur de nombre de contes, fables et proverbes. Moins célèbre et moins talentueux que Gustave DORE, il fait partie de ces artistes qui ont imprégné l’imaginaire de nombre de générations de gamins, à travers ces images dont jadis, avec les bons points, on gratifiait les élèves méritants. Sans compter le bouquin remis à la fin de l’année, lors de la distribution des prix, par Monsieur le Maire.
Les plus de cinquante piges ont connu.
Récemment, j’ai retrouvé dans un carton, l’une de ces vignettes, tirée de l’opus des «100 proverbes» que j’avais dû recevoir par extraordinaire, lors d’un moment d'égarement.
***
«N’éveille pas le chat qui dort». Telle est la sage maxime qu’un maître sagace avait cru indispensable de m’inculquer. Elle n’a jamais quitté mon esprit.
Lorsque je sommeille, lorsque je batifole avec le gars Morphée, où plus simplement lorsque quiet, je ne demande rien à personne, sinon qu’on me foute une paix royale, je goûte assez peu qu’on vienne –vous me passerez l’expression audiardesque- «me les briser menu».
Ce fut le cas tantôt, quand un cuistre insistant voulut à toute force me convaincre de mon infortune en me serinant avec force ironie le malheur de ne pas avoir assisté à la corrida du siècle -que dis-je du millénaire!- à Nîchmes.
J’eus beau lui répliquer sereinement que je m’en tamponnais le coquillard, le gazier, enhardi par le soutien actif de son fan club (car le cuistre peut être plusieurs) non seulement n’en démordit pas, mais poussa le bouchon jusqu’à m’expédier en triple exemplaire la vidéo qui suit. Comme le chantait Brassens, «Les braves gens n’aiment pas que, l’on suive…».
Perso, ça ne me dérange nullement que chacun trouve son plaisir où il veut (où il peut…), mais le mien ne regardant que moi, il ferait beau voir qu’on m’imposât celui d’autrui.

Quoi que j’en ai pensé, je n’avais rien écrit sur l’événement cosmique Casaso-Tomasien, ou devrait-on rectifier aux dernières newsTomaso-casasien, parce que tant mieux si la chose a comblé un certain nombre d’aficionados, grand bien leur fasse. Mais m’envoyer des vidéos en requérant de ma part un orgasme rétrospectif obligatoire, voilà qui me «marrissait» passablement et «éveillait le chat qui dort».
***
C’est pourquoi, je livrerai au lecteur de la Brega, un exposé de mes ressentis, qu’il voudra bien imaginer en voix off au défilé des images. Bien évidemment, je parle de RESSENTIS et non de vérités révélées. Devant la dictature de la jouissance normée, on a encore le droit, il faut du moins l’espérer, de ressentir ce que l’on veut.

 



ACTE I
La bestiole terri-horrifiante pénètre en trottinant dans le redondel.
Quel trapio imposant!
Quelles cornes redoutables!
Quelle puissance!
Quelle présence!
Quelle impétuosité!
En voilà une machine à tuer!  C’est Totomamas qui a choisi esssspécialement le monstre sur le catalogue de la Redoute à Domecq?
Tiens! V’là qu’en plus de gambader, la pupuce saute la lice! On se croirait à l'hippodrome d'Auteuil pour le grand steeple chase!  En voilà de la caste qu’elle est présente!

Ah, enfin le Jose le passe de capote.
Assuré le garçon.
L’a raison, l’autre andouille à cornes ne témoigne pas du quart de la moitié du millième d’une mauvaise intention et fait ses aller et retours SNCF, se retourne tout seul, revient, sans investissement outrancier, sans humilier outrageusement, à l’économie, comme tout bon toro moderne de troisième tercio se doit de le faire.
Hop, un petit accroché du capote, faudra signaler ça au ganadero, doit y'avoir un gène pour ça (et quand y'a un gène y'a pas d'plaisir!).
 Et vas y que je recorte dans le suave et que le bestiau complaisant se stabilise de lui même pour la suite des opérations.
Bien apprivoisé le type, il va tout seul stationner devant le burladero idoine.

Mise en suerte sublime pour la cavalerie, Jose ne contrôlant rien et déviant juste la charge pour une bordée perpendiculaire à tribord amures.
On va pas tout de même pas s’emmerder avec une pique, non!
Enfin, une pique, faut le dire vite, regardons le pt’it compteur en dessous de l’écran: 3 minutes chrono de poussette avant que le doryphore ne lève la puya et que le sauvage agresseur ne se retire tout seul comme le Duc de Brunswick à Valmy. Que bravura!
Le remet ? Le remet pas? Nous voilà parti pour le quite.
Et le brave couillon qui démarre tout seul, sans qu’on le cite, et qui passe comme le métro, la tête haute et l’esprit serein, l'oeil rivé sur la ligne bleue des Allobroges, se retournant en fin de ligne pour le trajet retour, toujours sans sollicitation.

Saint Tomas ne croit que ce qu’il voit, et comme il a senti les rails sous le sable, il peut se permettre de rester impassible sur le quai, il sait que l'engin n'en sortira pas. L'assurance vient souvent de la certitude.
Un peu distrait Ingrato: faut quelque peu le solliciter un tantinet avant qu’il consente à se prêter aux voletis de capote. Faut dire que fabriqué pour la muleta, tant de cape n'est pas prévue au contrat. Faudra signaler ça aussi au ganadero: désormais 2 quites prévoiras, à une main effectueras, si rencontres Jose Tomas («Evangile selon Saint Jean Pierre chap IV-verset 10 ».

Bis repetita placent, second simulacre de pique identique au premier. Et puisqu’on en est au latin «Beati pauperes spiritu quia ipsorum est regnum coelorum» (démerdez vous avec les pages roses, j’commente moi!).
Alors là, ‘crochez vous au pinceau, Tomas enlève l’échelle, on suppute et même on subodore qu’on va voir du lourd.
A une mimine qu’il va vous la faire, comme mon neveu sur sa bicyclette. Ça horripile féroce dans les tendus d'os, les calbuts s’humidifient, la pamoison guette, on renifle l’historique.
Et Ducon qui passe et qui repasse mieux qu’une blanchisseuse écologiste.
On amidonne sévère dans les étagères. «Quoi! Qu’est-ce! Il nous fait ÇA, à nous qu’avons raqué si cher. Et Arlette qu’à loupé ça!».
Et le Tomas de Savoie, aux cimes qui s’en repart fier comme un bar tabac.

ACTE II
Ça moufte pas dans le cercle, les loufiats travaillent à l’éconocroque, que le premier qui donnera un coup de capote superfétatoire, il va manger sévère au retour à l’hôtel. D’ab, sont payés pour faire. Avec Tomas Stodonte, c’est pour rien faire: on ne se méfie jamais assez du petit personnel.
Ça ravit le péquin qui a toujours préféré le seigneur à la valetaille… «T’as vu, fait tout le gonze!».
C’est le tercio express, en fondu-enchaîné. Tant pis si les figurants n’ont pas droit au texte, si les banderilles sont toutes à corne passée.
Après tout, le second tercio, avec le premier, ne représentent que des formalités intempestives, des préliminaires abrégés avant la grande copulation muletatienne.
C'est comme ça la tauromachie moderne, foin des agaceries galantes, à l'essentiel: elle est vaginale, pas clitoridienne.
Et comment pourrait-il en aller autrement avec un bovidé spécialement programmé et conçu pour cela, qui ne requiert en rien la faena (la tâche, le travail) indispensable pour endiguer la caste d’un authentique toro de lidia?

ACTE III
Le thaumaturge est tellement convaincu du résultat des courses, tellement assuré du succès, tellement mentalisé sur l'«abandon de son corps à l'hôtel» (a t-on déjà entendu expression si vide, si conne  et si propre à épater le con de base?) et si peu sur le risque qu’il ne s’embarrasse même pas de l’estoc, ni de la montera.
Impérieux et impérial, sans perte de temps (c’est de l’argent!) ni finasseries inutiles, sans toquer, il accueille l’animal parti comme un Exocet, qui se replace automatiquement à distance optimale pour répéter l’assaut, et répéter encore et encore, chaque fois en se plaçant de lui même, quelque soit la sortie donnée, dans le terrain idéal.

Certes les trajectoires sont serrées, certes le temple est là, mais on se demande qui «agit» l’autre: le toro d’une soumission, d’une noblesse et d’une prévisibilité extraordinaires ou le torero qui met ces «qualités» en scène. Car si la bestiole vire comme un stamp dans un meeting aérien, c'est par ses facultés propres autant, sinon plus, que par la conduite du toreo. Tomas Sacré profite de la trajectoire plutôt qu'il ne la mène. Il gère plus qu'il ne produit.

Les séries s’enchaînent, sans surprises, inéluctables et programmées, n’induisant d’autres variables que l’élégance, la profondeur ou la virtuosité du geste.
L’impondérable n’ayant là aucune part, le risque étant minimisé au maximum, l’émotion ne saurait émerger que de la perfection du ballet.
On est plus près de la mécanique de précision helvète, de la prestation olympique d’une gymnaste roumaine ou des exploits ressassés, techniquement parfaits, d’Holliday on Ice que de l’inspiration luxuriante, de la joie barbare, chaotique et duendée du flamenco.

Me vient à l’esprit le kōan zen (anecdote, parabole pédagogique) de ce vieux moine qui demande au jeune disciple de nettoyer le jardin du monastère.
Chaque jour, le bonzinet s’évertue à un ouvrage idéal, mais le soir venu, le maître n’est jamais satisfait. Tout y passe, y compris l’arrachage du moindre brin d’herbe à la pince à épiler, le lustrage de chaque caillou à la brosse à dent, le tamisage du sable, le filtrage de l’eau, le massage des carpes koi.
Rien n’y fait: la vieille baderne persiste à faire la moue.
L’adepte finit par craquer, jeter les gants et désespéré, au bord de s’ouvrir les tripes d’un tel déshonneur, de demander à l’ancien ce qu’il convient de faire.
L’air canaille, le kroumir se dirige vers l’érable, le secoue fortement faisant chuter une pluie de feuilles mordorées qui viennent aurifier la mousse et constate: «Maintenant, c’est parfait!».
Ainsi,  en va t-il de la faena de Jose Tomas comme du jardin du moinillon, il y manque «l’imperfection qui conditionne la perfection» et surtout, par dessus tout, telles que les traduisent les images, je n’y sens jamais cette condition impalpable, indéfinissable, indicible qu’on nomme alma (âme) ou duende (inspiration) que j’ai pu éprouver chez d’autres, y compris par le truchement de la vidéo.

Les tandas (séries de passes) succèdent aux tandas.
Pas la moindre fausse note, pas le moindre grain de sable dans la mécanique, pas le moindre de ces estraños, de ces incongruités qui, par contraste, illuminaient la grâce et le génie, humanisaient les faenas inspirées de Rafael, de Curro, ou maintenant de Morante.
Peut-on parler de domination quand le collaborateur se prête si ardemment au jeu, s’obnubile à ce point de percale au point de totalement méconnaître qu’il put n’y avoir rien derrière?
Dominer quoi?
J’hésite à choisir –et pourquoi pas concilier- entre l’idée spécieuse d’un toro si malin ou si manipulateur qu’il conduirait le torero à lui offrir ce qu’il aime et l’option d’une connerie incommensurable.
Comme sur le chemin de Damas, une vérité me bouscule, me jette à bas, me triture et s'impose, lumineuse, irréfragable: que ce bestiau est con!
Il en est obscène.

ACTE IV
On va quérir l’estoc et relancer la ronde des passes qui seraient admirables si elles n’étaient si facilement évidentes parce que certes le monsieur sait somptueusement les donner, mais que l’autre, l’abruti, sait merveilleusement et loyalement les offrir, sans pudeur, ni retenue.
Ça olète à tout va dans la cambuse, mais on commence à causer indulto, parce que «pardonner la vie» au toro, c’est le trophée suprême après les oreilles et la queue, et que cela fait fenomenal et estupendo sur le curriculum vitae du spectateur chébran qui enchâssera le billet en reliquaire.

Théâtral, le Tomas Million (tomas se traduit par «tu prends») laisse monter la bouillabaisse. C’est sans doute ce qui m’agace le plus, ce faux-culisme affecté.
Mon senseï de kenjutsu, comme tous les maîtres compétents ne cesse de me semoncer: «Quand tu t’engages dans une action, tu le fais ou tu ne le fais pas».
Cette manière de s’engager en sachant sciemment que l’on n’ira pas au bout, cette manière de sembler céder à ce que l’on a déjà décidé qu’il soit, m’apparaissent comme l’antithèse de la sincérité.
C’est la manipulation suprême, le maniement optimal de la foule, l’envoûtement fallacieux de ceux qui, pour avoir obtenu la félicité, pensent être comblés, alors que la béatitude était sinon prévue, du moins programmée.
Le peuple est content, donc César est content et si César offre le pain, c’est que le pain était là, attendant dans les panières.

Le sésame orange tombe. Comment aurait-il pu en être autrement? Un palco ne saurait s’opposer ni à César, ni à la vox populi.
On goûtera toutefois les commentaires savoureux du voisinage, comme du reste durant toute la tragi-comédie.
***
Tout cela est-il bien sérieux?
Peut-être est-ce en fait une hénaurme galéjade provençale, une sardine qui obstrue la Porte des Consûrs.
Mon ami Batacazo y a vu l'effondrement d'un renouveau, l'apothéose torerista qui remet en cause les succès toristas de l'été.
Le problème me semble t-il, c'est surtout l'autocensure des aficionados, la peur du blasphème tomasiste, le renoncement à l'insolence salvatrice, à l'impertinence décapante, à la critique créatrice.

Nul n'est Dieu en ce bas monde, et les idoles n'existent que par la grâce de leur créateur et la foi des croyants.
Leur antidote c'est l'humour, la dérision et la lucidité.

Bonne nuit les petits!
Xavier KLEIN
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mardi 9 octobre 2012

DOULEUR ET SOUFFRANCE

«La douleur de l'âme pèse plus que la souffrance du corps»
Publius SYRUS

On cause, on cause, on lit, on lit, mais est-on pour autant conscient de la réalité profonde, des implications de ce que l’on dit, de ce que l’on lit?
S’il est un débat central dans la «question taurine» -et j’emploie à dessein cette expression en référence à la «question juive», c’est à dire une question qui n’en est une que si on la pose!- c’est bien celui de la douleur ou de la souffrance, insupportables aux yeux de certains, que l’humain tauromache infligerait à un animal défini comme «innocent», irresponsable et victime.
Nous reviendrons peut-être, sur cette idée, cette illusion peut-être, de l’«innocence».
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Douleur et souffrance, voilà deux belles mamelles de la condition humaine, deux expériences incontournables et constitutives de l’humanité, deux carburants fondamentaux de l’activité humaine. Evoquer, sublimer, échapper ou au contraire se confronter à la douleur et à la souffrance, voilà les moteurs les plus essentiels de la création dans les champs de la technique, de l’économie, de la pensée, de la spiritualité, de l’art.
Le duhkha est un concept central du bouddhisme. C’est la découverte de la souffrance humaine par le jeune prince Siddhartha Gautama, jusqu’alors maintenu dans l’ignorance par son père, qui initie la quête spirituelle qui le mènera à l’éveil.
Dans le judéo-christianisme, le péché originel prive l’homme de l’état édénique sans souffrance. Dés lors Homme et Femme y seront confrontés: «J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur […] le sol sera maudit à cause de toi. C'est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie […] C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre, d'où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.» Genèse 3, 15-19.
La problématique de la souffrance est au centre des préoccupations des philosophies antiques. L’hédonisme, l’épicurisme, le stoïcisme, le scepticisme se préoccupent d’échapper au diktat de la souffrance, de rechercher un état sans trouble l’aponie (absence de douleur corporelle) et l’ataraxie (quiétude de l’âme) ou mieux, l’euthymie (détachement, sérénité) qui conjugue les deux (http://www.elements-de-philosophie.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=48:ataraxie-recherche-du-bonheur).

Elle l’est également dans celles des philosophes occidentaux. De Montaigne à Michel Onfray (mais parle t-on là d’un philosophe?), on traite de la souffrance, surtout pour trouver la voie du «bonheur», un concept complètement étranger à l'Antiquité.
Il n’est nullement indifférent de constater que les «penseurs contemporains de l’anti-souffrance» se sont également penchés sur le bien-être animal, tels Jérémy BENTHAM (1748-1832), promoteur de l’utilitarisme hédoniste, et surtout le héraut du pessimisme, très en vogue à Vieux Boucau, Arthur SCHOPENHAUER qui préconise de traverser notre vallée de larmes en se réfugiant dans l'art, la philosophie, la perte de la volonté de vivre ou la tolérance envers ses compagnons de souffrance, notamment les bébêtes.

A l’inverse, d’autres courants philosophiques ou traditions spirituelles enjoignent que ne pouvant s’y soustraire, le mieux serait de s’y confronter, dans la joie si possible!
Le génial Frédéric Nietzsche, dans «Par delà le bien et le mal», rejoint le vaste fleuve des pensées naturalistes, païennes et chamaniques, de ces Celtes, de ces Vikings ou de ces Cheyennes qui avant le combat exultaient: «Aujourd’hui, c’est un beau jour pour mourir!». Ils rejoignent dans l’esprit, la conception japonaise du seppuku (l’ouverture du ventre) où la maîtrise de la plus grande souffrance valorise l’homme qui s’y soumet.

On constate donc que la valeur (ou le rejet) associée à la souffrance ou à la douleur n’est nullement une valeur intangible et universelle, mais relève de présupposés sociaux, historiques, culturels ou spirituels.
Ils peuvent même varier dans le même contexte, comme on le constate dans le catholicisme où, dans le temps, comme dans l’espace, des conceptions diamétralement opposées peuvent coexister ou se succéder.
Quoi de commun entre un dolorisme méditerranéen et tourmenté qui émerge à partir du XIIIème siècle et le christianisme paisible et serein du «Bon Pasteur» des débuts du christianisme?
Quoi de commun entre les exaltés qui se font clouer sur une croix durant la Semaine Sainte et le gai bordel des Journées Mondiales de la Jeunesse? Deux paradigmes apparemment antagonistes cohabitent: celui de la mortification et celui de la joie.
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Mais de quoi parle t-on en fait?
Je propose l’hypothèse d’une nette différenciation entre les les deux mots de douleur et souffrance.
La DOULEUR est avant tout un message OBJECTIF qui informe le cerveau d’un dysfonctionnement, d’une maladie, d’une atteinte ou d’une altération de l’intégrité physique d’un sujet. C’est donc un signal, une alerte, qui n’a rien en soi de négatif, au contraire. Si le signal n’existait pas, la peau soumise à la flamme continuerait à être calcinée, la plaie purulente continuerait à s’envenimer, etc.
Pour autant, si le dit message est une information OBJECTIVE (tout le monde ressent peu ou prou de la douleur à la brûlure), sa perception n’en demeure pas moins extraordinairement variable.
Non seulement nous ne sommes nullement égaux devant la douleur, mais son ressenti même et son expression peuvent varier selon les situations. On se rappellera à cet effet, de cette scène initiale de «Laurence d’Arabie» où le héros joue à laisser se consumer jusqu’au bout une allumette en supportant la douleur. A travers tout le film d'ailleurs, le génial David Lean explore les dédales complexes de la jouissance sado-masochiste.

Est-il besoin de développer? Nous savons tous qu’un pif défoncé lors d'un match de rugby ou d'un round de boxe se vivent différemment que la même atteinte en des circonstances où l’excitation, l’adrénaline ou les endorphines ne sont pas au rendez-vous. De même qu’un nourrisson exteriorisera plus spectaculairement et bruyamment sa douleur (c’est sa seule possibilité d'expression!) qu’un adulte, confronté à des maux dentaires.

Cette différenciation des perceptions objectives d’une DOULEUR nous conduit à la notion de SOUFFRANCE qui serait le ressenti SUBJECTIF de la douleur. Si la douleur est une expérience PERSONNELLE et difficilement transmissible –on ne peut prétendre éprouver objectivement la douleur d’un autre- il n’en va pas de même de la souffrance qui traduit l’effet produit sur un individu. La souffrance est communiquable.
L’étymologie du mot souffrance (latin sufferencia du verbe suffero, sub fero, c’est à dire porter sous, supporter) trahit cette notion de ressenti.

Tout le monde connaît l’anecdote de ces grands malabars qui s’évanouissent lors de l’infime piqûre d’une prise de sang alors que des «faibles femmes» n’en ont cure ou que des junkies y trouvent même de l’agrément. On peut en l'espèce supposer une douleur équivalente si la souffrance et le ressenti ne le sont nullement.
La souffrance qu’elle soit physique ou psychique est extrêmement dépendante du contexte historique, social, culturel, religieux etc… J’ai par moi-même constaté l’effet de la perte d’un enfant entre une famille française complètement effondrée et destructurée par cette épreuve et une famille iranienne qui s'en est trouvée peu affectée.
De même entre ce type d’expérience durant le XVIIIème siècle, où la mortalité infantile est forte et l’ère actuelle. La mort d'un enfant entrait dans le cadre d'une certaine normalité et n'était pas vécu comme le drame absolu actuel. Même différenciation selon le milieu d’origine où les documents d’époque permettent de constater un ressenti différent entre le deuil de la famille royale, celui d’un bourgeois et celui d’un paysan.
La souffrance est également conditionnée par le regard du spectateur ou de l'acteur: un pompier secouriste ou un chirurgien ne la prendra pas en compte de la même manière que celui qui n’y est jamais, ou peu confronté.
Enfin, comment négliger que douleur et plaisir sont  si inextricablement entremêlés dans l’expérience humaine? Comment rejeter comme honteuse celle du toro et consentir comme respectable voire valorisante celle du marathonien, du boxeur ou du libertin sado-masochiste?
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Reste à considérer la manière dont elle est gérée, et dirais-je, mise en scène.
De ce dernier point de vue, les méditerranéens jouissent d’une maîtrise et d’un savoir faire inégalés. Il n’est que de comparer un enterrement au Danemark et au Maroc, ou la Semaine Sainte à Séville et à Cracovie: c’est le jour et la nuit.
Le «bobo» d’un gamin burkinabé ou iranien (j’ai vu des ulcérations jusqu’à l’os) et le détachement fataliste avec lequel il le vit épouvanterait un pédiatre allemand.
A l’inverse, les pâmoisons «spasmophiliaques» de nos jouvencelles esbaudiraient le toubib béninois qui dérouterait la patiente vers le sorcier local.
On observera avec le sourire la diversité de réaction d’un footballeur italien taclé qui se tordra de douleur et d’un pilier irlandais «tumadé» qui se contentera sobrement d’un coup d’éponge magique…
Comme disait Albert: «Tout est relatif».

L’extériorisation spectaculaire, outrancière et bigarrée de la souffrance chez les latins, qui est le mode de gestion que ces cultures ont élaboré pour y donner réponse a d’ailleurs donné lieu à un concept, celui du «syndrome méditerranéen». Disons pour simplifier que les méditerranéens ne se dérobent pas à la souffrance. Au contraire, ils la vivent sur le mode théâtral (au sens hellénique du terme, c’est à dire de la catharsis) et mélodramatique.
Non seulement, ils la vivent, mais ils en jouent, la mettant en scène, comme le footballeur tordu d’une douleur aussi brève qu’exagérée. La souffrance s'impose ainsi comme l’élément central de l’expérience et de la comédie humaine, source d’inspiration et d’expression comme dans toutes les créations du génie méditerranéen depuis le flamenco jusqu’à l’opéra en passant par la comedia del arte–souvent cruelle- et la tragédie antique.
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Comment dés lors envisager que le regard et l’appréciation portés sur la souffrance et la douleur ne puissent faire débat irréductible autour d’un phénomène tel que la corrida?
Impossible!
Impossible parce que la valeur accordée, le regard porté sur la souffrance, intolérables pour les uns, incontournables pour les autres demeure envers et contre tout inconciliables. Nous avons vu comment les grands ancêtres latins «signifiaient» le concept de souffrance: suffero = je souffre, c’est à dire je supporte. Or, pour «les autres», les «zantis», la souffrance est justement et littéralement insupportable.

On sait également la fonction du déni en ce qui concerne le rapport à la souffrance. Un déni salvateur et indispensable pour qui s’y confronte régulièrement. Mais un déni dont on ne devrait jamais être dupe, un déni dont les cultures méditerranéennes ne sont jamais dupes. Déni des soignants ou des spectateurs qui vivent la souffrance et en arrivent à la nier pour pouvoir la côtoyer. Mais déni plus grave encore des contempteurs qui se refusent tant à la regarder, à l’envisager comme objet de culture, d’art ou de spiritualité.

Oui, un toro est sujet à la douleur pendant une corrida, pourquoi le nier contre toute évidence. Douleur certes relative, puisqu’éprouvée dans la fureur et l’ardeur du combat, douleur indicible, douleur intransmissible sauf par la projection et le fantasme, puisque nul n’a jamais été toro pour pouvoir la parler. Nier cette douleur relève de la perversité, car à la douleur provoquée s’adjoint la négation de cette dernière.
Quant à la souffrance, c’est une autre histoire. Si la douleur du toro est indéniable -elle est même à la base d’une large partie du rituel taurin, ne serait-ce que du tercio de pique- il en va autrement de la souffrance. Cette dernière nécessitant un appareillage psychique et des vertus dont un bovidé ne dispose pas, entre autres la conscience (et donc la conscience de souffrir), le toro ne souffre pas au sens où nous l’entendons.
La douleur du toro est pour lui un signal d’état désagréable, comme la faim, la peur ou le rut qui commandent des comportements réactifs appropriés. Le toro ne souffre pas plus qu’il ne jouit, il obéit seulement à des instincts.
J’ai vu un jour un toro qui s’était brisé une patte. Le mayoral l’a repéré parce qu’il claudiquait et la tenait en l’air, mais aucun autre signe de souffrance n’intervenait. Je suis resté deux heures avec cet animal, en attendant qu’on vienne l’abattre, il a vaqué à son ordinaire, broutant, ruminant, se raclant la couenne dans la plus parfaite normalité, comme ses poteaux.
Douleur? Sans aucun doute, l’os transperçait le cuir.
Souffrance? Aucune manifestation apparente.
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En fait, la véritable question posée n’est pas tant celle du fantasme que les aficionados comme les «zantis» projettent sur le toro et sa douleur, c’est surtout celle que pose le toro aux «zantis» et aux aficionados sur leurs représentations divergentes de la souffrance, sur ce qui les fondent et sur ce qu’elles induisent.
Le toro questionne l’Homme sur sa propre souffrance, c’est d’ailleurs pour cela qu’il doit continuer à exister… et se battre.
Xavier KLEIN

«Anthropologie de la douleur» David Le Breton, Éditions Métailié, Paris, 1995
«Do insects feel pain? A biological view» Eisemann CH, Jorgensen WK, Merritt DJ, Rice MJ, Cribb BW, Webb PD, Zalucki MP, 1984 (consultable uniquement sur réseau universitaire)
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VICTORIDAX

Assurément les aficionados dacquois, les vrais, les «pourrisseurs d'arènes», les rossignols de tendidos, les désapplaudisseurs de figurasses, les malpolis selon Jules, les économiquement néfastes,  les démolisseurs de rêves futiles, les empêcheurs de triompher en ruedo, les mathématiciens de guarismo, les exigeurs de pitones, les revendicateurs de castes et les picador-a-su-sitionateurs n'ont pas eu leur content de toros.
Ou du moins de toros, tels qu'ils les envisagent, c'est à dire de lidia, et non de salon.
Ils sont l'honneur de la tauromachie, le dernier carré cambronien des braves, ceux qui meurent mais ne se rendent pas, ceux qui persistent à croire dans leurs rêves, sans s'abaisser à la vulgarité de la morne réalité, sans se préoccuper outre mesure du lleno dacquoisement korrekt, du succès à tout prix.
Ne serait que pour ce pundonor, on se privera de la sortie castagnes-bourret (encore que, s'ils sont malins les bougres!) et l'on aura à coeur de soutenir leur initiative et de communier avec eux dans la joyeuse victorinade qui se profile.
Xavier KLEIN

NOTA: Luis Bolivar ayant un contrat à Manizales est remplacé par Eduardo Gallo

mardi 2 octobre 2012

Des mots à maux


Fuera de cacho................................
Toujours passionné par le sens que l’histoire d’un mot et son étymologie confèrent à son actualité, autant que je le puisse, je passe en revue le glossaire de l’arène.
C’est une tache difficile car je ne suis nullement un linguiste distingué, loin de là!
Mes études hispaniques s’étant réduites au strict minimum (un año de «grand commençant» en classe de terminale), et n’étant nullement doué pour l’apprentissage des idiomes, je baragouine un espinguès approximatif et laborieux. Je ne parviens à l’entendre qu’après avoir consciencieusement abreuvé mon interlocuteur de «despacio, por favor» (lentement, s’il vous plait). Une précaution parfaitement vaine avec les andalous, créatures étranges et loquaces qui se soucient en général très modérément d’être comprises…
Après 7 ans d’anglais, je ne suis toujours pas rosbifnophone. Je lis couramment et manie le godon sans trop de tribulations, mais quand il s’agit d’entraver, c’est Trafalgar et Waterloo united. Et pour peu que l’interlocuteur soit un amerloque, c’est à dire un andalou anglais (la comparaison étant exclusivement phonétique!), là, je joue panique à bord.
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Non, moi, mon truc, c’est l’archéologie des langues. 
C’est pourquoi, bien qu’étant aussi nullissime en latin et en grec que dans leurs héritières modernes, j’ai toujours conçu une immense félicité à leur fréquentation, ce qui s'est avéré fortement avantageux pour l’abord de l’espagnol, de l’italien ou du portugais. Une fois sur deux, on y parvient à retrouver un mot inconnu grâce au recours à un radical latin, ce qui est impossible avec les langues septentrionales, germaniques ou anglo-saxonnes.
Il en va de la langue comme des peuples: la «pureté» n’existe pas. C’est au contraire par leur dynamisme interne et leur interaction avec l’«autre» qu’elles évoluent, se transforment et «vivent». Une langue qui n’évolue pas est une langue qui se meurt.
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Ces avatars sont réellement passionnants et transcrivent dans la modernité les relations historiques intra et inter-nationales.
Le mot «barbecue», par exemple, est le témoignage d’un aller-retour avec l’anglais. «Barbecue» -honi soit qui mal y pense- est l’adaptation anglaise d’une pratique de l’embrochement de «la barbe à la queue» bien gauloise, comme paquebot est celle du grand breton «pack boat».
Outre Pyrénées, l’histoire a également marqué la langue. L’émergence des Habsbourg et d’un empire-mosaïque sur lequel «le soleil ne se couchait jamais» a engendré une cohabitation des cultures.
Les reîtres et lansquenets mercenaires du Saint Empire Romain Germanique cohabitant avec les  tercios ibères communiquaient dans un sabir qui a laissé des traces. Ainsi, les premiers aillant coutume de se lisser la moustache en s’exclamant «Bei Gott!» («Por Dios!» en espagnol et «Pardieu!» en français), les seconds en conclurent que c’était là l’appellation de l’appendice pileux. «Bei Gott!» est donc devenu «bigotes» en castillan.
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La tauromachie n’a pas échappé au mouvement.
Ainsi, cherchant l’origine du mot «brindis», dont je ne parvenais à trouver aucune source latine, j’eus la surprise de découvrir qu’il provenait de l’allemand «bring dir's»je te l’offre»). Les fridolins avaient encore sévi!
Ce travail de recherche de l’origine du jargon taurin, de ses expressions spécifiques ne revêt pas seulement un aspect anecdotique, il révèle un sens profond, une histoire, des influences.
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J’ai toujours été intrigué par le mot «cacho», dans l’expression «fuera de cacho». En fait, ce mot peut se décliner non seulement sous diverses acceptions, mais relever de plusieurs étymologies.
Le verbe correspondant «cachar» est d’origine d’Amérique du Sud (Chili, Colombie) et signifie «cornear» (donner des coups de cornes).
Il faut savoir que les ex-colonies espagnoles (comme c’est le cas pour la France) pratiquent souvent un espagnol à la fois plus archaïque, plus pur ou plus soutenu que dans la mère-patrie. Il suffit de fréquenter un peu des québécois, des lettrés de la francophonie, antillais ou africains pour constater la pratique d’une langue plus subtile et plus châtiée que le français métropolitain. J’ai toujours ouï dire que le castillan de Colombie était particulièrement relevé.
Dans cette optique, on notera que deux occurrences de «cacha» (nom féminin de cacho) abondent dans ce sens:
CACHA1
(Du latin capŭla, pluriel de capŭlum, poing, poignée).
1.                   Revêtement (de corne) qui couvre le manche des «navajas», de certains couteaux et de quelques armes à feu.
2.                   Manche de couteau ou de «navaja».
3.                   De Cachete (joue). Mais également poignard.
4.                   Fesse. Portion charnue et rebondie.
CACHA2
1. Colombie: Corne.
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Le nom commun «cacho» dans l’une de ses occurrences, rejoint tout à fait «cacha», mais la déclinaison des significations, porte également très humoristiquement un sens qui peut s’adapter à la situation d’un torero ou d'un toreo «fuera de cacho».
         CACHO3
1. Amérique. Corne.
2. Amérique du sud. Timbale de corne.
3. Bolivie et Colombie. Jeu de hasard.
4. Chili et Guatemala. Corne.
5. Chili et Pérou. Rebut, chose inutile et méprisable.
6. Chili. Corvée, travail pénible et inopportun.
7. Colombie argotique. Joint, pétard. Cigarette de marijuana.
8. Equateur. Plaisanterie, historiette, en général obscène.

Ainsi «fuera de cacho» qui en jargon taurin se traduirait par «en dehors de la corne» ou «hors la corne»,  pourrait aussi diversement signifier dans un jeu du mot: «hors du poignard», c’est à dire hors du danger, qui rejoindrait alors «hors de la fesse», ce qui indique l’éloignement du péril.
Nous avons aussi le «hors du jeu» ou «hors jeu» trop souvent actuel et le «hors de la corvée, du travail pénible» qui s’avère explicite. Et «hors de la plaisanterie», dont, comme chacun le sait, les plus courtes sont les meilleures.
Par contre toréer «fuera de cacho» provoque un certain nombre de «pétards», même si d’un autre côté, la chose n’a rien du psychédélisme induit par un bon joint de marijehane. Notons que le mot «joint, pétard» se traduit aussi en argot mexicain par «cucaracha» (qui signifie aussi «blatte, cafard»). C’était le surnom du général-président aztèque Victoriano HUERTA, alcoolique, cannabique et sale comme un cancrelat après ses abondantes et fréquentes libations.

Refrain :
La cucaracha, la cucaracha,
Ya no puede caminar ;
Porque no tiene, porque le falta
Marijuana que fumar
Refrain :
Le pétard, le pétard, (ou le cafard, le cafard)
Déjà ne peut plus marcher ;
Parce qu'il n'a pas, parce qu'il lui manque
De la marijuana à fumer

Les mots dans leur crudité, dans leur subtile variabilité font plus que parler. Ils hurlent des vérités que nous nous refusons trop souvent à entendre.

Xavier KLEIN

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